La parodie de la mode : zoom sur le droit d'auteur et le droit des marques


I- La parodie d’une œuvre :  exception au droit d’auteur fondée sur la liberté d’expression (Art.L.122-5°4 CPI)

La parodie au sens de la Directive 2001/29 est entendue selon la Cour de Justice comme ayant pour « caractéristiques essentielles, d’une part d’évoquer une œuvre existante, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci, et, d’autre part, de constituer une manifestation d’humour ou une raillerie » (CJUE, 3 sept. 2014, Vandersteen, Aff. C-201/13).

Si la Cour de cassation française ne reprend cette définition dans les mêmes termes, l’article L122-5°4 du Code de la propriété intellectuelle énonce qu’il convient de respecter « les lois du genre ». Les juges français appliquent in fine les mêmes conditions que la Cour de justice : d’abord, le propos doit être humoristique ou doit constituer une raillerie ; ensuite, il ne faut pas qu’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public entre l’œuvre parodiée et la parodie. Aussi considère-t-on que la parodie doit présenter des « différences perceptibles » par rapport à l’œuvre parodiée. La jurisprudence considère, par exemple, que le fait de reprendre un personnage de bande dessinée dans un contexte pornographique ne relève pas de la parodie (TGI référé Paris, 11 juin 2004, « Tintin parodies »). Si en revanche ces éléments sont réunis, alors l'auteur de la parodie ne pourra être poursuivi pour contrefaçon. Il s'agit donc d'une arme de défense redoutable en cas de litige.


Dans un arrêt de 1988 mettant en cause Thierry LE LURON et Bernard MABILLE, auteurs de la chanson « Douces Transes », parodie de la chanson de Charles TRENET « Douce France », la première chambre civile posait les cadres de l’exception de parodie : peu importe le type de parodie, le domaine dont il s’agit, ce qui est important c’est que les éléments originaux d’une œuvre soient repris afin d’en détourner le sens dans un esprit humoristique (Cass. 1ère, 12 janv. 1988, Ed. Salabert c/ Le Luron, Mabille et autres, Pourvoi n°85-18787).

Dans une autre affaire, les ayants-droit d'Yves MONTAND assignaient en justice le caricaturiste Jacques FAIZANT suite à son dessin,
un pastiche des « Feuilles mortes », en hommage au chanteur. Pour sa défense le dessinateur prétendait avoir agi dans un contexte humoristique afin de rendre hommage à la mémoire du défunt. Dans ce contexte et selon les ayants-droit, l’exception ne peut jouer : il ne s’agit pas de faire rire mais d’émouvoir. Les juges donneront gain de cause au dessinateur : l’exception de parodie peut être mise en œuvre dès lors que les juges ont considéré que le caricaturiste avait complètement « retourné » le sens de la chanson « pour en faire de manière humoristique un hommage à la mémoire de son interprète » (CA Paris, 11 mai 1993, Société Sebdo et Jacques Faizant c/ Editions Enoch).

Concernant la mode, les parodies de campagnes publicitaires inondent depuis quelques années les réseaux sociaux. On pense à l’américaine Celeste BARBER, suivie par presque 8 millions de personnes, qui se met en scène avec humour en imitant les photographies de mode de célébrités. La rédactrice de mode Nathalie CROQUET joue également la carte de l’auto-dérision tout en mettant en exergue la représentation idéalisée et faussée de la femme dans les médias. En avril 2020, au début de la pandémie de Covid-19, le styliste Nicolas DUREAU enflamme la toile en parodiant les campagnes publicitaires des marques de luxe à l'aide d'objets de la vie quotidienne (papier toilette, aluminium...) devenus eux-mêmes "luxe" - de par leur rareté -
en période de confinement national.




Cependant, le caractère parodique ou humoristique n’est pas toujours évident. Le 21 février dernier, la Cour d’appel de Paris condamnait l’artiste américain Jeff KOONS ainsi que le Centre Georges Pompidou pour la contrefaçon d’une campagne publicitaire Naf-Naf. Cette affaire illustre que l’exception, si elle constitue un astucieux moyen de défense, n'est pas toujours fructueuse. En effet, il arrive qu'elle soit invoquée à tord, ce que les juges du fond ne manquent ici de rappeler. Après avoir repris la définition européenne de la parodie, l’exception soulevée par Jeff KOONS et le Centre Pompidou est rejetée par la Cour d’appel de Paris : « a supposer que la sculpture “Fait d’hiver” puisse être regardée comme une “manifestation d’humour ou une raillerie”, ce qui ne ressort pas de façon évidente de la description que donne Jeff KOONS de sa sculpture (…) l’appelant ne démontre pas (…) son intention (…) d’évoquer la photographie ‘Faits d’Hiver’ préexistante ». La Cour d’appel ajoute que la photographie publicitaire était « incontestablement oubliée ou inconnue du public » lors de l’exposition Jeff KOONS au Centre Pompidou. Par conséquent, « M. KOONS n’a produit aucun élément antérieur à la présente instance de nature à laisser penser que son œuvre se rattache sous une forme parodique à la photographie litigieuse » et l’exception de l’article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle n’a pas vocation à s’appliquer (CA Paris, pôle 5, 1ère chbr, 21 févr. 2021, Koons, n° 034/2021)



II- La parodie de la marque : vide juridique et reconnaissance jurisprudentielle


Il est vrai que l’exception satirique ou de parodie existe en droit d’auteur et la question se pose de savoir si elle pourrait être invoquée en droit des marques. En l'absence de texte, les juges ont tout de même tendance à l’admettre du moins implicitement à travers un fait justificatif fondé sur l’utilisation caricaturale de la marque, manifestation de la liberté d'expression
. Les usages relevant de la liberté d'expression consistent le plus souvent en la citation de la marque dans un but d'information sans finalité commerciale ou promotionnelle ou, la référence à la marque dans le cadre d'une polémique.


La question connaît un regain d’actualité à propos de la reproduction de la marque d’autrui sur des sites Internet par des associations afin de critiquer le comportement des entreprises propriétaires de ces marques. Ces utilisations polémiques n’ont pas pour finalité de promouvoir des produits concurrents, comme dans le domaine de la publicité comparative, et sont donc étrangères à la vie des affaires. Par conséquent, elles n’ont nul besoin d’être justifiées par une exception de parodie qui n’existe pas réellement en la matière.


Ce propos est à nuancer. Si la liberté d'expression fait obstacle à la condamnation d’utilisateurs de marques d’autrui dans un but étranger à la vie des affaires, cet usage ne doit pas être abusif. L’abus de droit qui se définit traditionnellement comme "l’intention de nuire à autrui" a par exemple été admis lorsque l’association Greenpeace avait associé la marque AREVA, leader mondial des produits et services permettant la production d’électricité nucléaire, à des têtes de morts, poissons, bombes nucléaires et slogan en forme de jeu de mots, afin de dénoncer les activités de ce dernier et leurs incidences sur l’environnement. Le Tribunal de Grande Instance de Paris jugeait qu’il ne saurait y avoir contrefaçon pour imitation de marque, puisque d’une part, l’association Greenpeace n’a pas cherché à induire le public en erreur quant à l’identité de l’auteur des messages, et d’autre part, le consommateur ne peut être tenté de se détourner de la marque, l’association ne proposant aucun produit ou service en rapport avec le nucléaire. Il n’en demeure pas moins que celle-ci a tout de même chercher à nuire à la société AREVA en l’associant à la mort, et ne peut donc se prévaloir de la liberté d’expression
.

D'autres affaires peuvent être citées comme celles des Guignols de l'Info mettant en scène des sketches de Jacques CALVET, PDG de Peugeot, avec des voitures de la marque "poussives, polluantes, en panne..." (Cass, Ass, 12 juill. 2000, Guignols de l’info c. Peugeot, n°99-19004) ou encore celle des campagnes publicitaires de lutte contre le tabagisme du Comité national contre les maladies respiratoires et la tuberculose (CNMRT), visant principalement les adolescents, à travers des affiches et des timbres destinés à la vente inspirés du décor des paquets de cigarettes de marque "Camel". Si la Cour d'appel estimait que le CNMRT ne pouvait se prévaloir de la liberté d'expression puisque « le but poursuivi par le CNMRT était bien de discréditer au yeux du public, jeune en l'occurrence, les produits Camel, que ce public privilégie par rapport à d'autres marques de cigarettes afin de le détourner de ces produits... », la Cour de cassation censure le raisonnement. Selon, elle, « en utilisant des éléments du décor des paquets de cigarettes de marque "Camel", à titre d'illustration, sur un mode humoristique, dans des affiches et des timbres diffusés à l'occasion d'une campagne générale de prévention à destination des adolescents, dénonçant les dangers de la consommation du tabac, produit nocif pour la santé, le CNMRT, agissant, conformément à son objet, dans un but de santé publique, par des moyens proportionnés à ce but, n'avait pas abusé de son droit de libre expression. » (Cass, civ. 2e, 19 oct. 2006, Camel, n°05-13.489; v. aussi CA Paris, 4e ch. section 1, 30 avr. 2003, Affaire JeBoycottDanone; Cass, com, 8 avr. 2008, Esso c. Greenpeace, n°06-10.961).

En matière de marques de luxe et de haute renommée, les tribunaux français n’ont pas encore vraiment eu l’occasion de s’exprimer. Pourtant depuis quelques années, un nouveau commerce voit le jour. Il s'agit de t-shirts et autres accessoires reproduisant les logos de marques de luxe soit en les modifiant, soit en les associant à des éléments textuels ou figuratifs qu'elles n’ont pas choisis et sans que leur accord préalable n'ait été sollicité. De même, certains artistes ont exposé ou commercialisé des œuvres inspirées de tels logos.

 



« En exposant leurs créations, ou en les commercialisant, les instigateurs et promoteurs de cette nouvelle mode semblent nourrir la double ambition d’évoquer la marque de luxe et de démontrer au public, dans le même temps, qu’ils s’en dissocient » (I. CAMUS, « La parodie de marque: un défi mondial pour les marques de luxe qui en sont une cible privilégiée », Colloque "Les propriété intellectuelles à la mode", IRPI, juill. 2015).

Aux États-Unis, la société Louis Vuitton Malletier a obtenu gain de cause contre la société Hyundai Motor au sujet d’une publicité diffusée pendant le Superbowl incluant pendant une seconde un ballon de basket décoré des signes distinctifs de la marque Louis Vuitton. La société Louis Vuitton Malletier avait assigné sur les fondements de la contrefaçon et de la dilution de sa toile Monogram. La société Hyundai a fait valoir le caractère humoristique de cette référence à la marque Louis Vuitton qui avait pour objet « d’inviter les consommateurs à repenser leur définition du luxe... ». L’exception de parodie n’a toutefois pas été retenue par les juges américains
(Cour de New York, Southern District, 22 mars 2012).

En définitive, on notera que les cours et tribunaux français ont reconnu et admis la parodie de marque faite à des fins militantes, dans un but d’intérêt général et de santé publique puis au titre de la liberté d’expression en l’absence de risque de confusion, et ce malgré l'absence de disposition textuelle dans le Code de la propriété intellectuelle. La parodie de marque est cependant condamnée lorsqu'elle est utilisée à des fins commerciales. Elle le sera au titre de la contrefaçon ou de la concurrence déloyale, mais aussi au titre des agissements parasitaires ou du dénigrement et ce d’autant plus lorsqu'il s'agit de marques renommées qui bénéficient d'une notoriété semblable à celle des marques de luxe.

A.S.R 





Crédit: Vogue Australia; @NicolasDureau (instagram); @CelesteBarber (instagram);  @NathalieCroquet (instagram); Faits d'Hiver, Naf-Naf campaign années 80; Barril Chanel et faux livres (Wish); Prada Marfa Elmgreen & Dragset (Valentine, USA); Publicité Hyundaï. 

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