Pourquoi les parfums ne sont-ils pas protégés par le droit d'auteur?

 

Créé pour Coco Chanel au début des années 20 par le parfumeur Ernest Beaux qui désirait « Un parfum artificiel, je dis bien artificiel comme une robe, c'est-à-dire fabriqué. Je suis un artisan de la couture. Je ne veux pas de rose, de muguet, je veux un parfum qui soit un composé. » (Pierre Galante et Philippe Orsini, Les années Chanel, Paris, Mercure de France, 1972), le N°5 de Chanel venait bouleverser le monde de la parfumerie en offrant pour la première fois en flacon les molécules d’aldéhydes. Près de cent ans plus tard, la plus célèbre des fragrances demeure l’une des plus vendues au monde ayant engrené près de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019. Si le bouchon aura connu quelques évolutions au fil des années, le flacon, lui, sera resté inchangé.

Il est clair qu’un parfum de cette envergure peut amener les parfumeurs concurrents à vouloir se rapprocher, dans leurs créations, de l’odeur du Chanel n°5. Cependant, les odeurs, tout comme les goûts ne sont pas protégeables au titre du droit d’auteur. Ils sont protégés, en revanche, par le secret.

Comment se justifie ce refus de protection par le droit d’auteur français? Aux termes du tout premier article du Code de la propriété intellectuelle, l’auteur jouit sur son oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous (Art.L111-1 CPI). L’odeur d’un parfum ne peut-elle pas être considérée comme une oeuvre de l’esprit au sens du Code de la propriété intellectuelle, au même titre qu’un roman, une musique, un tableau?


         1. Le défaut de forme tangible

Conformément à l’article L112-1 du Code de la propriété intellectuelle, « Toutes les oeuvres de l'esprit sont protégés par le droit d'auteur quelle que soit leur forme d’expression ». Implicitement, cela signifie que l’oeuvre, pour prétendre à la protection, doit être exprimée sous une forme tangible. Si la forme peut tout à fait être éphémère, inachevée ou même évolutive, elle doit en tout état de cause être accessible aux sens.

Si le flacon d’un parfum est bien doté d’une forme tangible, une odeur en tant que telle, elle, ne l’est pas.


        2.
La difficulté de déceler l’empreinte de la personnalité de l’auteur dans une odeur

Si le terme d’originalité est presque absent du Code de la propriété intellectuelle (qui ne le mentionne qu’à un seul égard: à l’article L112-4 relatif aux titres des œuvres), les juges français s’accordent à considérer qu’une oeuvre peut bénéficier de la protection à deux conditions: elle doit être conçue sous une forme tangible
et être originale.

La définition de l’originalité diffère en droit français et en droit européen, et cela se rattache au fait que la France, tout comme l’Allemagne, ont une approche dite personnaliste (parfois dite romantique) du droit d’auteur.
Le professeur CORNU, quant à lui, parlait même d’un droit « personnellissime ». L’originalité s’y définit alors comme « l’empreinte de la personnalité de l’auteur ». L’oeuvre est en quelque sorte le  cordon ombilical — p
our reprendre l'expression du professeur GAUTIER — qui relie le sujet à l’objet. Les directives européennes sont plus neutres et objectives dans leur définition puisqu’elles parlent de « création intellectuelle propre à son auteur ».


Si l'on s’en tient à la définition française de l’originalité, il paraît difficile de déceler une quelconque empreinte de la personnalité de l’auteur dans un parfum entendu comme odeur. En effet, le résultat de la fragrance serait une oeuvre qui exprimerait la personnalité du nez, à travers un message olfactif destiné au public, ce qui est difficile à envisager. Cela relèverait davantage d'une métaphore ou d’un abus de langage dans un cadre publicitaire, mais en réalité, il n’existe pas de message olfactif au même titre qu’il n’existe pas de message gustatif:  l’odeur s'adresse aux sens pour parvenir à l’intelligence.


        3.
L’hypothétique exclusion des odeurs de la liste non limitative des oeuvres de l’esprit

Il convient dès lors de s’intéresser à la définition de l’oeuvre de l’esprit afin de comprendre pourquoi les odeurs et les saveurs en sont exclus.

Cela n’est pas sans soulever un des plus grands paradoxes de la matière: l’objet du droit d’auteur est l’oeuvre de l’esprit mais l’oeuvre de l’esprit n’est pas défini par le Code de la propriété intellectuelle. La doctrine est venue combler cette lacune juridique en livrant ses propres acceptions de l’activité de création: le professeur SIRINELLI, par exemple, la définit comme une « activité intellectuelle qui donne naissance à l’oeuvre de l’esprit ». Le Code, lui, se contente de livrer une liste non exhaustive de catégories d’oeuvres de l’esprit en son article L112-2 parmi lesquelles se trouvent les oeuvres cinématographiques, graphiques, photographiques, chorégraphiques, etc. Néanmoins, doctrine et jurisprudence sont unanimes sur le point que cette liste n’est pas limitative, et certaines oeuvres, non listées, peuvent être considérées comme des oeuvres de l’esprit. Cela pourrait donc nous amener à penser que les odeurs puissent y être accueillies mais il n’en est point: depuis une jurisprudence constante du 13 juin 2006, la fragrance d’un parfum, qui procède de la simple mise en oeuvre d’un savoir-faire ne constitue pas, au sens des articles L112-1 et L112-2, la création d’une forme d’expression pouvant bénéficier de la protection des oeuvres de l’esprit par le droit d’auteur. (Cass, 1ère, 13 juin 2006, n°02-44.718)



        4.
L’exclusion des odeurs sur le fondement du savoir-faire

Comme dit dans l'attendu de principe précité, l’oeuvre ne doit pas se confondre avec le savoir-faire qui permet d’aboutir à l’œuvre. Celui-ci peut se définir comme la maîtrise technique de certains outils, de certaines pratiques. Il n’est donc pas protégé en tant que tel par le droit d’auteur. C’est d’ici que se justifie pleinement la non protection des goûts et des odeurs: l’odeur du Chanel n°5 ou la saveur des macarons de Pierre Hermet font l'objet d’une formule et d’une recette secrètes en ce qu'ils sont inconnus du public, mais ils ne sont pas pour autant protégés au titre des propriétés intellectuelles. Ils sont protégés par le savoir-faire et le secret. C'est pourquoi les marques font signer des clauses de confidentialité à leurs salariés, et en cas de divulgation, ces derniers risquent le paiement d'indemnités très élevées.

L'avantage de la clause de confidentialité c'est qu'elle est dissuasive (par le montant des dommages et intérêts). Son inconvénient c'est qu'elle ne peut prévenir la divulgation. En effet, on ne peut pas forcer quelqu'un manu militari de dire quelque chose en public. Une fois divulguée, malgré l'obtention d'une somme d'argent en guise de réparation, le savoir-faire aura perdu toute sa valeur. En ce sens, il s'agit d'une clause fragile. 


En revanche, d'autres aspects du parfum (comme le design du flacon, l'emballage, le packaging...) seront protégeables par le droit d'auteur, 
à condition bien sûr d’être originaux et incarnés dans une forme tangible.



        5.
L’absence de précision et d’objectivité dans l’appréciation des odeurs (Évolution jurisprudentielle et la résistance des juges du fond au principe de non protection des odeurs)

Il est fort probable que la jurisprudence française ait influencé la jurisprudence de l’Union européenne concernant les parfums. En effet, les Pays-Bas adoptaient une position contraire (v. l’affaire Trésor de Lancôme de la Cour de cassation néerlandaise), de sorte qu’il était fortement prévisible que la Cour de Justice soit amenée à trancher.

C’est chose faite dans son arrêt Levola Hengelo du 13 novembre 2018. La Cour de justice statuait sur la non protection de la saveur d’un fromage par le droit d’auteur, aussi original fût-il (CJUE, 12 nov. 2018, Levola Hengelo, Aff. 
C‑310/17). Cette jurisprudence qui suit le raisonnement de la jurisprudence constante de la Cour de cassation depuis l’arrêt du 13 juin 2006 est applicable par analogie aux odeurs et donc aux parfums. Selon les juges, l’oeuvre doit être identifiable avec suffisamment de précision et avec suffisamment d’objectivité. Or, le goût ne peut être fixé précisément de manière durable puisqu’il s’altère. De plus, il existe une trop grande part de subjectivité dans l’appréciation du goût par le public. Plus précisément, les juges européens déduisent du principe de non protection des idées et des méthodes que la notion d’oeuvre implique nécessairement une expression de l’objet de la protection qui le rend identifiable avec suffisamment de précision et d'objectivité, quand bien même il ne serait pas permanentles oeuvre fugaces et éphémères étant protégeables. 


Si la CJUE a suivi le raisonnement de notre jurisprudence, la position française n’a pas toujours été celle-ci. Le Tribunal de Grande Instance de Paris dans une décision du 24 septembre 1999 admettait que la création d’un parfum était le résultat d’une véritable recherche scientifique, souvent longue, par des spécialistes. En ce sens, il s’agissait donc d'une oeuvre de l’esprit. Le TGI poursuivait: « Il ne s’agit en aucun cas d’un travail de recherche industrielle visant à mettre au point un procédé de fabrication d’un produit défini au préalable: le terme de "formule" ne saurait tromper par son aspect technique et pourrait être comparé à une partition qui permet de reproduire la musique, tout comme la formule permet de reproduire la fragrance. » Par ailleurs, le TGI note que le Code de la propriété intellectuelle ne prévoit pas d’exclusion expresse des fragrances au sein des oeuvres de l’esprit de sorte qu'elles sont bel et bien protégeables pour peu qu’elles soient originales.

La jurisprudence française continue de rendre certaines décisions en ce sens, toujours à la recherche du critère de protection (l’originalité dans la forme). La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 28 juin 2000 qui impliquait la société Clarins, déboutait l'entreprise de parfumerie sur le terrain du droit d'auteur au motif suivant: la société n’a versé au débat aucun élément sur les travaux et recherches effectués pour mettre au point la fragrance, ni même une analyse chromatographique qui permettrait de définir les odeurs par l’utilisation de courbes et de couleurs ainsi que sa composition précise. Ce qui est écrit sur l’emballage du parfum ne saurait être suffisant pour déterminer si celui-ci est doté de l’originalité requise pour être protégé par le droit d’auteur.

Par la suite, dans un arrêt du 17 septembre 2004, le principe de protection des parfums par le droit d'auteur est consacré par les juges qui estiment que l’oeuvre de l’esprit est établie « par la liste des composants olfactifs de son jus ». Quant au critère de l'originalité, la Cour d’appel soutient qu’il ne peut être contesté dès lors que le parfum de distingue parfaitement de toutes les autres fragrances et qu'il est adopté d’une clientèle très nombreuse à la recherche d'un signe d’individualisation. Cet argument est pour le moins critiquable à plusieurs égards. Tout d’abord, les juges s'adonnent ici à un jugement de valeur en relevant « le succès d'un parfum auprès de sa clientèle » ce qui revient à retenir le mérite comme condition de la protection, ce qui est absolument exclu en droit d’auteur. Ensuite, les juges du fond se réfèrent à la distinctivité, ce qui n'a pas lieu de s'appliquer en droit d’auteur: le caractère distinctif d’un produit ou service relève exclusivement du droit des marques. Il en est de même pour la nouveauté, critère exclusivement réservé cette fois au droit des brevets. Enfin, la Cour d’appel ignore complètement l’empreinte de la personnalité de l’auteur, de sorte que l’on peut affirmer avec certitude que cette décision aurait en tout état de cause encouru la cassation.


        6.
Les conséquences pratiques de l’absence de protection des parfums par le droit d'auteur

Le droit d’auteur serait-il vraiment adapté à la protection des parfums? On peut en douter, puisque celui-ci se décuple en deux prérogatives: les droits patrimoniaux et le droit moral. C'est bien cette deuxième prérogative qui pourrait faire naître de nombreux litiges dans l'industrie du parfum, pour qui, in fine, le principe de non protection est plutôt accommodant.

En effet, le droit moral se décuple lui-même en quatre prérogatives: le droit de paternité (c’est-à-dire le droit d’exiger l’inscription de son nom sur son oeuvre), le droit de repentir et de retrait (c’est-à dire le droit pour l'auteur de retirer son oeuvre du circuit économique), le droit au respect et à l'intégrité de l’oeuvre (c’est-à-dire le droit de refuser toute atteinte matérielle ou spirituelle à son oeuvre), et enfin, le droit de divulgation (à savoir le droit de décider à quel moment communiquer son oeuvre au public ainsi que le droit de ne jamais la communiquer).

On notera que jamais le nom du nez a été inscrit sur un flacon ou sur un emballage de parfum. Il n'est pas certain que Dior ait envie de divulguer l’identité de Monsieur ou Madame X qui aurait élaboré Miss Dior ou Dior J’adore. De plus, s’il existait un droit du nez sur le parfum, alors l’auteur pourrait, au nom de son droit moral et du droit au respect et à l'intégrité de l’oeuvre, s'opposer par exemple à ce que son parfum soit transformé en eau de toilette. En effet, cela pourrait constituer une altération de son oeuvre qui nécessiterait de facto son accord. Les mêmes problématiques se posent avec le droit de divulgation, de repentir et de retrait si lesdites prérogatives venaient à être mises en oeuvre par le nez. En effet, les entreprises se heurteraient au droit moral brandi par le nez, ce qui serait un obstacle à la perspective de commercialisation des parfums.

Dans le même temps, d’autres règles du droit d’auteur sont sans doute inadaptées aux besoins de l’industrie du parfum. C'est le cas par exemple du régime des créations de salariés: un salarié jouit de sont droit d’auteur indépendamment de l’existence de son contrat de travail. Ainsi, le « nez-salarié » pourrait revendiquer ses droits sur sa création et empêcher l’employeur de l’exploiter. C'est pourquoi en définitive, ce principe, aussi critiquable soit-il, complait l’industrie.

C'est justement à l’occasion de l’arrêt du 13 juin 2006, qui fera jurisprudence, que la 1ère chambre civile de la Cour de cassation se prononcera pour la première fois quant à l’éventuelle application du droit d’auteur aux fragrances dans un contexte salarial. En l'espèce, une salarié attaquait l’entreprise qui l’avait licenciée en invoquant sont droit d’auteur sur des parfums qu'elle avait elle-même élaboré. Elle demandait à cet effet des dommages et intérêts pour compenser l'utilisation de ses créations par l’entreprise. Après avoir été déboutée en appel, elle forme un pourvoi en cassation qui sera rejeté. L’arrêt est célèbre quant à son attendu de principe: « la fragrance d'un parfum qui procède de la simple mise en oeuvre d'un savoir faire ne constitue pas au sens de L112-1 et L112-2 du Code de la propriété intellectuelle la création d'une forme d’expression pouvant bénéficier de la protection des oeuvres de l'esprit par le droit d’auteur ». Cette formule sera reprise par de nombreux arrêts ultérieurs (
Cass, com, 1er juill. 2008; Cass, 1ère, 22 janv. 2009; Cass, com, 10 déc. 2013, Lancôme, n° 11-19.872), même s'il aura également conduit à certaines résistances de la part de juges du fond, notamment de la Cour d’appel de Paris (CA Paris 14 févr. 2007, n° 06/9813). Les arrêts de résistance seront toutefois cassés de sorte que la deuxième chambre civile et la chambre commerciale se sont désormais rangés derrière la première chambre civile.



        7.
Quid du droit des marques? Peut-on déposer un goût ou une odeur dans les registres de l’INPI?

Le droit des marques est assez mal adapté au dépôt des parfums puisque le parfum (au sens d’odeur) est le produit lui même. Autrement dit, si on achète un parfum c’est pour son contenu, sa fragrance (et non pour le flacon) qui donne donc la valeur substantielle au produit. 
 Cependant, l’article L711-2 point 5° du Code de la propriété intellectuelle dispose que « ne peuvent être valablement enregistrés (…) les signes qui donnent au produit sa valeur substantielle » et ce, à peine de nullité.


Toutefois, la réforme du Paquet-Marques (composé du règlement du 14 juin 2017 et de la Directive n°2015/2436, d’où son appellation « Paquet-marques »), transposé en France par l’ordonnance du 13 novembre 2018, a ravivé le débat.

Avant le Paquet-Marques, pour déposer une marque en bonne et due forme, existait la nécessité — à des fins de sécurité juridique — d’une représentation graphique (mots, dessins, schéma…). Or, depuis la réforme, cette règle élémentaire a connu un assouplissement. L’exigence d’une représentation est supprimée :  elle était devenu obsolète puisque de nos jours, il existe d’autres procédés —  pas forcément graphiques — qui apportent tout autant de fiabilité et de sécurité. En particulier, l’exigence de représentation graphique était un obstacle pour le dépôt de signes olfactifs et gustatifs.

Dans l’arrêt Sieckmann (
CJCE, 12 déc. 2002, Sieckmann, Aff. C273/00), la CJCE ne fermait déjà pas la porte aux signes olfactifs: en théorie on pourrait protéger ces signes, mais en pratique il existe encore une fois un problème d’objectivité et de fiabilité. Pourtant la Cour de justice proposait des moyens de représenter graphiquement une odeur: tout d’abord, par la formule chimique (mais cela rend la représentation peu accessible au grand public, ni même au chimiste pour qui la seule lecture d’une formule ne lui donnera pas une idée de l’odeur en question); ensuite, la description verbale de l’odeur (mais encore une fois, ceci est trop subjectif, et ne permet pas de respecter la garantie de rattachement du signe à une entreprise déterminée ); enfin, par un échantillon (cependant, celui-ci peut s’altérer et ne remplit donc pas les exigences de fiabilité requises). La Cour d’appel de Paris a suivi le raisonnement des juges européens en refusant par exemple le dépôt d’une marque constituée par le goût « arôme artificiel de fraise » (CA Paris, 4e ch., 3 oct. 2003).


L’analyse de l’arrêt Sieckmann est intéressante pour le droit d’auteur, car on voit bien la difficulté qui réside dans la description de la consistance d’une fragrance et la subséquente difficulté d’établir la contrefaçon. D’ailleurs, la CJUE fera référence à l’arrêt Sieckmann dans l'arrêt Levola Hengelo pourtant consacré au droit d’auteur.

Malgré les efforts de la Cour de Justice pour trouver un moyen de déposer une odeur dans les registres de marques et malgré la suppression de l’exigence de représentation graphique en 2015, la porte des marques reste pour le moment fermée aux goûts et aux odeurs, aussi distinctifs soient-ils, et ce, pour trois raisons principales: si le signe est le produit lui même on ne peut pas le déposer en tant que marques (article L711-2 CPI précité); il faut consommer le produit lui même pour savoir que c’est un signe distinctif (l’avoir goûter, l’avoir tester) ce qui en somme, constitue une inversion de la logique du droit des marques; enfin, il faut que le signe soit perçu comme une marque, or pour le public, une odeur ou un goût est considéré… comme une odeur ou un goût.

Quid du droit des brevets? Un droit de brevet sur une odeur pourrait être envisageable si sont réunies les trois conditions de la brevetabilité: la nouveauté, l'activité inventive et l'application industrielle (article L11-10 CPI). Par conséquent, il faudrait que le parfum réponde à un but technique (guérir une maladie, faire fuir les moustiques…) pour prétendre à la protection par le droit des inventions. Toutefois, l’inconvénient majeur réside dans le fait que le parfum soit une recette secrète. Le droit des brevets serait alors fort mal adapté puisqu’il obligerait les parfumeurs à divulguer cette fameuse recette.


8.
Le commerce fleurissant des contrefaçons de parfums

En 2015, le distributeur Equivalenza était mis en examen après la vente des parfums identifiés par des numéros dans des bouteilles neutres. En juin dernier, LVMH annonçait une « saisie historique » de plus d'un million de flacons de parfums contrefaits dans une usine grecque. Pourtant, le groupe consacrait 43 millions d'euros à la lutte contre la copie de ses produits en 2019.


Il y a sept hubs de production de contrefaçons dans le monde: la Chine, l’Inde, la Thaïlande, la Turquie, la Malaisie, le Pakistan et le Vietnam. Si la Chine apparaît comme premier pays producteur, on discerne des « spécialisations
 » parmi les six autres. La Turquie a par exemple un rôle de leader dans la maroquinerie et les cosmétiques. Les commerçants turcs des villes affluentes telles qu'Istanbul ou Antalya et même de plus petites villes — comme Kuşadası considéré « temple de la contrefaçon » — proposent via des tableaux de concordance toutes les imitations des parfums les plus en vogue du moment: de Georgio Armani, La Petite Robe Noire de Guerlain, J’adore Eau de Parfum Dior… Dans un arrêt L’Oréal contre Bellure, la Cour de Justice estimait que les tableaux de concordances qui établissent des labels de parfums ayant la même odeur que d’autres constituait une double contrefaçon: d’une part dans la présentation même d’un produit équivalent, et d’autre part dans la ventre d’un produit contrefaisant (CJCE, 18 juin 2009, L’Oréal c. Bellure, Aff. C-487/07). 


Quant à l’appréciation de la contrefaçon par les juges, il conviendra de comparer les deux compositions en cause afin d’y déceler un caractère contrefaisant. Comme le note le Professeur SIRINELLI, dans le domaine de la parfumerie, les éléments de base sont en nombre limité et forment des familles (P. SIRINELLI, « (Non) protection d’un parfum – Le juge est au parfum... mais toute fragrance ne mérite pas protection », Propriétés intellectuelles 2004/13, p. 907). Il convient de rappeler que la contrefaçon s’apprécie au regard des ressemblances et non des différences, puisque le contraire ferait le jeu des contrefacteurs qui n’auraient qu’à modifier certains détails minimes pour échapper à une condamnation.


Toutefois, il est admis que l’imitation d’un jus puisse créer un risque de confusion et à ce titre être condamné, également, sur le fondement de la concurrence déloyale., un instrument très efficace pour défendre des objets intellectuels qui ne font l’objet d’aucun droit privatif. La Cour de cassation a d’ailleurs posé le principe suivant : l’action en concurrence déloyale, qui trouve son fondement dans les articles 1240 et 1241 du Code civil, a pour objet d’assurer la protection de ceux qui ne peuvent se prévaloir d’un droit privatif, sous réserve de la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité (
Cass, com. 15 juin 1983, n°81-15936). Cette action est donc particulièrement adaptée aux fragrances.



                                                                            Conclusion

Pour conclure, on peut désormais distinguer le parfum des autres oeuvres de l’esprit. Un livre, une chanson ou une peinture existent de façon objective, même s’ils peuvent nous émouvoir tous différemment (subjectivité dans les effets). Les parfums et les saveurs, eux, reposent exclusivement sur des sensations, des expériences olfactives ou gustatives qui sont variables pour tout un chacun : elles dépendent de multiples facteurs tels que l’âge, les habitudes alimentaires, l’environnement, le contexte, etc. Pour autant, cette exigence de précision et de clarté a pour avantage de renforcer la sécurité juridique en empêchant que les juges se fondent sur leur subjectivité.

Cela explique pourquoi les odeurs sont si mal reçue par les droits de propriété intellectuelle : elles ne peuvent ni être protégées par le droit d’auteur, ni être déposées à titre de marque, ni même faire l’objet d’un brevet. L’unique possibilité de protection est celle du secret des affaires. Mais si la formule des parfums de luxe venait un jour a être révélé ou découverte, cela serait catastrophique pour les parfumeurs qui perdraient d'office l’exclusivité sur leurs créations…



A.S.R



Crédit: Archival Pigment Print by Tony Kelly. Offered by Preiss Fine Arts Photographers Limited Editions (https://pin.it/5KGEKyG) 

Commentaires

  1. Si l'odeur était nouvelle , atypique , provenant d'un nouveau produit , pourrait t'on envisager une protection ?

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    1. Merci pour votre question :) La nouveauté est l'un des critères de protection par le droit des brevets de sorte que si le parfum fait preuve d'une activité inventive et est, en plus, susceptible d'application industrielle (3 critères de brevetabilité), alors la protection à ce titre est envisageable. Cependant, pour un parfum cela paraît rare, sauf si l'odeur sert à repousser les insectes, ou si elle répond à un quelconque intérêt technique, ce qui ne concerne pas l'objet de cette étude!

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  2. un article parfait et très enrichissant merci pour ce travail de qualité.

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