Paparazzis, Copyright et Réseaux Sociaux: le conflit des droits et libertés

 

L’actualité brûlante autour de la famille royale a ravivé la controverse autour des paparazzis. Beaucoup les ont rendus responsables de la mort de la princesse Diana, dont la voiture s'est écrasée sous le Pont de l’Alma alors qu'elle cherchait à échapper au groupe de photographes. Depuis des décennies, les paparazzis sont critiqués pour les méthodes parfois douteuses auxquelles ils s’adonnent pour obtenir une photo. La finalité, tout aussi débattue – utiliser le cliché volé à des fins lucratives – viole les droits fondamentaux du respect a la vie privée et du droit à l’image des célébrités visées. 

Cependant, plus récemment, les critiques entourant ce groupe controversé se sont éloignées des questions de vie privée pour se tourner vers l'application de leurs droits d'auteur. 

 

En effet, l'essor des réseaux sociaux a donné lieu à une multitude de litiges entre les paparazzis et les célébrités qui piochent parfois parmi ces clichés pour alimenter leur profil Instagram. A l’ère du narcissisme sur les plateformes digitales et des opportunités lucratives qu’elles génèrent, l’initial conflit "Droit au respect de la vie privée VS liberté d’expression ou liberté professionnelle" n'est plus à l'ère du temps. Le nouveau conflit de liberté est un conflit moderne: la liberté d'exploiter sa propre image sur ses réseaux sociaux contre le droit d'obtenir compensation pour l'utilisation non autorisée de son oeuvre. 

 

Si les réseaux sociaux ont marqué le déclin de la presse à scandale et ont permis aux célébrités de se "réapproprier" leur image en choisissant ce qu’elles voulaient montrer d’elles au public, sont-elles pour autant exemptées d’en obtenir les droits ? Si la célébrité fait le sujet de l’« œuvre », elle n’en est pas plus l’auteure, et le droit de la propriété intellectuelle requiert un contrat de licence pour utiliser librement la photographie. 

 

On arrive donc dans une spirale sans fin où le paparazzi vole une photo, et le sujet la vole en retour. Quel droit devrait alors prévaloir ? Le caractère parfois jugé immoral de la profession devrait-il être puni par l’utilisation du fruit de son travail à titre gratuit ? Les défenseurs du droit d’auteur auraient tendance à répondre par la négative. Ce n’est toutefois sans compter l’actuelle tendance de certains paparazzis et leurs agences de capitaliser sur la naïveté des célébrités, une tendance qui leur vaudra la dénomination aux États-Unis de « copyrights trolls ». Ces paparazzis gagnent leur vie en poursuivant systématiquement les célébrités qui publient des photos d'elles-mêmes sans licence sur Instagram, afin de profiter des dommages-intérêts prévus par la loi américaine sur le copyright, qui peuvent aller jusqu'à 30 000 dollars par infraction et jusqu'à 150 000 dollars en cas de violation délibérée. L’année dernière par exemple, une agence de paparazzis poursuit la star de télé-réalité Lisa Rinna à hauteur de 1,2 million de dollars après pour avoir publié sans autorisation sur Instagram huit photos de paparazzis d'elle et de sa famille. 

 

Si la plupart de ces procès de violation de copyright se règlent à l'amiable, épargnant aux parties les coûts d'un procès, certaines célébrités ont souhaité que justice soit faite. On se souvient de l’affaire Ratajkowski en 2019 ou le mannequin avait publié la photo d’elle sortant d'un magasin de fleurs à New York en se cachant de l’objectif à l’aide d’un bouquet, avec en description « mood forever ». Vingt-quatre heures plus tard la photo est automatiquement supprimée ; un mois plus tard, le paparazzo Robert O'Neil lui demande 150 000 dollars de dommages et intérêts pour violation de son droit d’auteur. Gigi Hadid est aussi régulièrement attaquée pour une cinquantaine de publications de clichés dont elle n’a pas obtenu les droits. 

 

L’issue de ces affaires a trait à l’applicabilité du « fair use », doctrine américaine de « l’usage loyal » de l’œuvre. En vertu de l'article 107 du Copyright Act, quatre facteurs sont pris en compte pour déterminer si l'utilisation d'une œuvre protégée par le droit d'auteur constitue un usage loyal : 

-       l'objet et le caractère de l'utilisation, 

-       la nature de l'œuvre, 

-       la quantité et le caractère substantiel de la partie utilisée, et

-       l'effet de l'utilisation sur le marché potentiel. 

 

Hadid soutient que les quatre facteurs penchent la balance en sa faveur notamment le premier et le dernier. En analysant "l'objet et le caractère de l'utilisation", les tribunaux regardent dans quelle mesure l'œuvre est "transformative" à savoir dans quelle mesure l'œuvre modifie l'œuvre originale avec une nouvelle expression, une nouvelle signification ou un nouveau message. Selon les avocats de la défense, en posant et en souriant pour une photo, puis en la recadrant avant de la poster sur Instagram, Hadid a contribué à de nombreux éléments que le droit d'auteur cherche à protéger et que, par conséquent, elle n'avait pas besoin d'obtenir la permission d'utiliser l'image. La défense soutient également, en référence à l'élément de "l'effet sur le marché", que le simple fait de republier la photographie sur sa page Instagram est un effort qui ne s’élève pas à une exploitation commerciale. Sa remise en ligne reflète plutôt un objectif personnel différent de celui du photographe, à savoir exploiter commercialement la popularité du mannequin.

 

La partie adverse conteste le caractère transformatif de la photo republiée et dénonce une "tentative flagrante de réécrire la doctrine juridique établie". Quant à l’argument de la finalité non commerciale, il est contestable si l’on connait la réalité cynique des réseaux sociaux : en l’absence certes d’un gain économique direct, la publication de la photo contribue à alimenter le profil de la célébrité et in fine son portefeuille. 

 

Dans un article pour le New York Magazine, Emily Ratajkowski écrit : "Je suis devenue plus familière avec le fait de me voir à travers l’objectif des paparazzi que de me regarder dans un miroir. Et j'ai appris que mon image, mon reflet, ne m'appartient pas." Il est vrai qu’à travers le prisme du copyright, aucun droit n’est octroyé au sujet de la photo, peu importe sa contribution à travers ses expressions et ses gestes. Afin d’éviter d’éventuelles poursuites en publiant des photos d'elles-mêmes – et par le même biais contrôler leur image, – certaines célébrités ont opter pour une alternative : engager un « paparazzo » personnel qui saura capturer le plus flatteur des clichés lors de leurs différents déplacements. Si ce moyen concilie les intérêts antinomiques en cause, il est loin de satisfaire l’entièreté de la profession qui voit son avenir pour le moins compromis. 




ASR





Crédit: Vogue Italia 

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