Pris la main dans le sac : d’anciens salariés de la maison Hermès condamnés pour contrefaçon et contrebande en bande organisée



Près de 120 milliards d’euros de produits contrefaits sont chaque année importés dans l’Union Européenne (EUIPO, 2020 Status Report on IPR Infringement, juin 2020) : la contrefaçon est définie par l’article L.335-2 du Code de la propriété intellectuelle comme la reproduction, l’imitation ou l’utilisation totale ou partielle d’un droit de propriété intellectuelle sans l’autorisation de son titulaire, portant aussi bien atteinte à des titres de propriété industrielle qu’à des titres de propriété littéraire et artistique. Dans l’industrie du luxe, le succès et la valeur d’un produit sont intrinsèquement liés à son originalité et à sa rareté : ces objets sont des cibles traditionnelles des réseaux de contrefaçons, qui tendent à se diversifier du fait de la protection particulière qui est accordée à ces produits. En effet, le rapport de l’EUIPO de 2020 démontre que les articles de luxes, que ce soient les montres, les chaussures, la parfumerie ou les sacs à mains, sont les classes de produits les plus affectées par l’importation de produits contrefaits.

Les maisons de luxe luttent depuis des années contre la commercialisation de contrefaçons de leurs produits, qui s’est vue facilitée par l’apparition des ventes en ligne (Présentation du Plan Contrefaçons 2021-2022, Direction générale des douanes et droits indirects, février 2021) : en 2017, les pertes financières dues à la vente en ligne de contrefaçons s’élevaient à 25,6 milliards d’euros pour les marques de luxe (Global Brand Counterfeiting Report 2018). Ainsi, dans plusieurs décisions de justice, on constatait l’attachement nécessaires de ces grandes entreprises à la lutte contre la contrefaçon, ainsi que la lutte contre la mise en place de réseaux parallèles de distribution : a récemment été validé le licenciement pour cause réelle et sérieuse d’une vendeuse de la société Hermès qui avait favorisé la vente de produits à des revendeurs, violant ainsi son obligation de relais et de garantie des procédures d’éthique (Cour d’appel d’Aix-en-Provence, pôle 4 ch. 2, 4 juin 2021, n°18/04162). La maison avait encore licencié un autre vendeur en 2017 pour faute grave, celui-ci ayant participé à la vente de modèles phares de la marque à des membres de tels réseaux de distribution parallèles, par le contournement des règles de ventes (Cour d’appel de Paris, pôle 6 ch. 6, 15 janvier 2020, n°17/10821). La vente de ces produits, notamment des iconiques sacs Birkin et Kelly, obéit à des règles strictes qui visent à assurer l’originalité et l’identité des modèles.

Pour assurer le succès de leurs produits et préserver leur image de marque, les maisons de luxe mettent en place des règles strictes qui veulent à la fois encadrer la conception, la fabrication, la vente de leurs produits mais aussi les droits et les obligations de leurs salariés. L’une des règles en cause dans l’affaire de contrefaçon de sacs Hermès est celle des bons du personnels : un employé de la maison peut, par an, fabriquer un sac pour son compte, sans pouvoir cependant le revendre. Pour être identifiés et identifiables, ces sacs tirés des bons du personnels se voyaient marqués, à partir de la fin des années 2000, d’une sorte de numéro de série permettant de retrouver les détails de son assemblage et de sa production. Le principal responsable de la mise en place et de l’organisation du réseau de contrefaçon était alors délégué du personnel et a réussi à récupérer plus de 200 de ces bons par an, permettant la fabrication des Birkin dans les ateliers de la maison pour les revendre ensuite. Encore, il était parvenu à entrer en contact avec un ancien fournisseur officiel de cuirs de la maison et à débaucher d’anciens employés maroquiniers pour les fabriquer dans des ateliers clandestins, en France dans un premier temps, puis à Hong Kong : l’un des anciens employés affirme et regrette sa participation à ce réseau de contrefaçon et de contrebande, ayant trahi Hermès où il travaillait depuis toujours (« D'anciens employés d'Hermès jugés pour trafic de contrefaçon du célèbre sac Birkin », Laure Debeaulieu, France Info, 24 juin 2020).

Pour que ce réseau permette la production de sacs plus vrais que nature, il fallait évidemment la participation d'employés ayant déjà monté des sacs Hermès : ceux-ci sont montés à l’envers et ensuite retournés. En particulier, un sac Birkin nécessite plus de 20 heures de travail pour être assemblé dans un atelier : initialement et jusqu’en 2010, son acquisition dépendait du système de liste d’attente alors que les acheteurs doivent aujourd’hui se rendre en boutique en espérant que le sac revienne. Les délais d’attente pour pouvoir devenir propriétaire de ce sac iconique, lancé en 1984 par la marque pour l’actrice Jane Birkin, sont alors démesurés : la demande est tellement forte comparée à l’offre que ces sacs se vendent aux enchères. Le sac Kelly, lancé dans les années 1930, dans le modèle Himalaya en crocodile blanc, extrêmement rare, est venu en octobre 2020 battre le record du sac à main vendu le plus cher aux enchères chez Christie’s à Hong Kong, pour 437 330 dollars. Au-delà de la fourniture des matières premières et de la confection des sacs, certains membres du réseau étaient en charge de l’écoulement de ces « vrais faux » sacs à des touristes asiatiques ou originaires d’Europe de l’Est.

En 2011, Hermès International et Hermès Sellier avaient déposé plainte après avoir découvert ces contrefaçons, par le retour en boutique des sacs contrefaits par des clients victimes du réseau. Le procès avait été ouvert le 24 juin 2020 : le 24 février 2021, le tribunal correctionnel de Paris condamne alors vingt-trois personnes impliquées dans ce réseau de contrefaçon, dont neuf anciens salariés du groupe de luxe. Les peines les plus importantes ont été prononcées à l’encontre du « cerveau » du réseau, avec 6 ans de prison ferme et 1,5 million d’euros d’amende, faisant l’objet d’un mandat d’arrêt en raison de son absence au procès, et aussi envers le principal fournisseur du réseau, condamné à 4 ans de prison dont 2 avec sursis probatoire ainsi que 400 000 euros d’amende. Ainsi, plus de 400 sacs avaient été fabriqués dans les ateliers clandestins du réseau délocalisés à Hong Kong et 800 avaient été tirés du système des bons du personnel entre 2008 et 2012, tous vendus à des touristes asiatiques en France ou en Chine. In fine, l’ensemble du réseau est redevable de plus de 10 millions d’euros aux sociétés Hermès International et Hermès Sellier au titre du préjudice moral et du préjudice matériel subis par la maison du fait de la mise en place de ce trafic. La plupart des prévenus ont reconnu leur participation à ces faits pour compléter leurs revenus.

Cette décision est remarquable en ce qu’il est rarement fait usage de la voie pénale pour réprimer des faits de contrefaçon dans le domaine de la propriété intellectuelle : on estime que 90% des affaires de contrefaçon sont portées devant les juridictions civiles, ce alors que la violation de droits de propriété intellectuelle constitue un délit en tant que tel. Cela peut s’expliquer par les perspectives plutôt faibles d’indemnisation au pénal, l’absence de spécialisation des juges en matière de propriété intellectuelle mais encore la durée des procédures. La juridiction civile permet l’interdiction des actes de contrefaçon, la réparation pécuniaire du préjudice subi, mais aussi des mesures provisoires ayant le jugement du litige et est plus facile à mettre en œuvre. La condamnation au pénal d’actes de contrefaçon est alors plus utile dans une perspective répressive, notamment dans le cadre de réseaux criminels (Institut National de la Propriété Intellectuelle).
 
 
 
L.P




Crédit: Sex & the City

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