La protection de la mode par le droit des dessins et modèles


Le statut ambivalent de la mode, à la fois art et industrie, appelle nécessairement à la question du cumul des protections par différentes branches de la propriété intellectuelle. Si la mode est protégée au titre du droit d’auteur sous réserve d’être exprimée de manière originale sous une forme tangible, cette protection peut-elle se cumuler avec le droit des dessins et modèles dont les critères de protection sont distincts ?

Le cumul non automatique entre le droit d’auteur et le droit des dessins & modèles sous réserve des conditions propres à chaque régime

Comme le souligne Yves GAUBIAC, docteur en droit, les dessins et modèles sont à la fois très proches de la propriété industrielle, par leur exploitation commerciale et la volonté d’attirer la clientèle à travers un signe distinctif, et très proches de la propriété artistique, en raison de l'apparence extérieure des objets qu'ils concernent. Partant, leur nature hybride rend difficile l'adoption d'un régime de protection (Y. GAUBIAC, « La théorie de l’unité de l’art », RIDA 111).

Plus particulièrement, le droit des dessins et modèles se rapproche du droit d’auteur en ce qu’il protège des créations esthétiques utilitaires comme le design, la mode, les tissus, les bijoux, etc. Ce lien se traduit par la théorie dite de l’unité de l’art née sous la plume de POUILLET fin XIXème. Cette théorie a vocation à s’applique pour les dessins et modèles et a été reconnue dans les diverses législations qui se sont succédé en la matière : la directive européenne du 13 octobre 1998 harmonisant la protection juridique des dessins et modèles transposée en France par l’ordonnance du 21 juillet 2001 l’admet, au même titre que le règlement communautaire du 12 décembre 2001 qui a créé un titre communautaire unitaire en la matière consacre la théorie de l’unité de l’art.

Le plus souvent, la théorie se traduit par un cumul des protections. Cependant, il peut y avoir une protection alternative : un dessin et modèle divulgué ou non déposé sera protégé uniquement au titre du droit d’auteur ; un dessin et modèles qui n’est plus protégé en tant que tel (protection de vingt-cinq ans par période de cinq ans), continuera d’être protégé par le droit d’auteur ; un dessin ou modèle non apparent sera protégée uniquement au titre du droit d’auteur.

Inversement, bien que cela soit plus rare, une création ne relevant pas du droit d’auteur peut être protégée au titre des dessins et modèles. Par exemple, la Cour de cassation a déclaré l’absence d’originalité du modèle « Golf » des chaussures Weston car il existe une antériorité, toutefois, le modèle est tout de même nouveau car l’antériorité n’est pas de toutes pièces (Cass, 1ère, 5 avr. 2012, Weston).

Enfin, un dessin ou modèle qui n’est pas protégé par le droit d’auteur dans son pays d’origine – qui est son pays de première publication selon la Convention de Berne en son article 2£7– ne peut pas plus l’être en France. En ce cas, seule la protection spécifique des dessins et modèles est applicable. Cette restriction a toutefois été jugée contraire au principe communautaire de non-discrimination devant la CJUE dans une affaire relative aux mocassins Tod’s (CJCE, 30 juin 2005, Tod’s).

Le droit des dessins et modèle en vigueur présente des qualités et des défauts. L’avantage est qu’il n’oblige à aucun formalisme donc aucun coût ce qui rend la protection simple d’accès davantage pour les secteurs comme la mode, en perpétuelle évolution. Son principal inconvénient est la difficulté de preuve de nouveauté et de calcul de la durée de protection. En effet, le paradoxe du créateur de mode réside dans sa tendancieuse impression d’être à l’origine d'un imprimé ou d’un design, et que les autres « lui doivent tout », alors qu’en réalité personne ne doit rien à personne. En effet, les créateurs puisent dans un fond commun, de sorte que tout finit par se ressembler à un moment donné. En définitive, il est difficile d’évaluer quel designer a divulgué un dessins ou modèle en premier dans l’Union Européenne.

Le régime du droit d’auteur semble donc plus favorable à celui des dessins et modèles (durée plus longue, droit moral, etc.). On pourrait donc s’étonner de la survie du second. En réalité, il perdure car il accorde davantage de sécurité juridique grâce à la formalité du dépôt, une présomption de titularité liée à la formalité, une date de début de protection certaine, etc. Ainsi, le cumul pourrait apporter aux designers une protection renforcée.

Si le cumul des protections est en théorie possible, il est parfois mis à mal du fait de la divergence des critères de protection propre à chaque droit, provoquant parfois une absence de protection totale: au titre du droit d’auteur comme au titre des dessins ou modèles.

Si les conditions de protection par le droit d'auteur sont la forme et l’originalité, celles des dessins ou modèles est la nouveauté et le caractère propre ou individuel. La caractère nouveau signifie qu’aucun dessin ou modèle identique ou quasi identique n’ait été divulgué avant la date du dépôt. Quant au caractère propre ou individuel, cela signifie qu’il ne doit pas susciter une impression de déjà-vu dans son ensemble, par rapport à un dessin ou un modèle divulgué avant la date de protection accordée par le dépôt.

À cet égard la CJUE a rendu le 12 septembre 2019 une décision très importante dans laquelle elle a enfin l'occasion de se prononcer sur les créations des arts appliqués et sur le principe du cumul de protection (CJUE, 12 sept. 2019, 
Cofemel – Sociedade de Vestuario SA c/ G-Star Raw, Aff. C-683/17). 


En l’espèce, la société G-Star commercialisait trois modèles de vêtements non déposés au titre des dessins et modèles et considérant que la société portugaise Cofemel contrefaisait ses création, elle l'assignait en contrefaçon de droit d'auteur. La Cour suprême portugaise, estimant que la loi nationale sur le droit d'auteur, qui protège les œuvres d'art appliqué et « les œuvres de design qui constituent une création artistique », ne précise pas le degré d'originalité requis pour ces créations et constatant par ailleurs qu'il existe un débat sur ce point au Portugal, a jugé qu'il était justifié d'interroger la CJUE.

La question préjudicielle à la Cour de Justice tend à savoir si l'article 2 sous a, de la directive 2001/29 du 22 mai 2001 peut permettre de soumettre la protection par le droit d'auteur pour les créations d'art appliqué au fait qu'au-delà de leur objectif utilitaire, elles génèrent « un effet visuel propre et notable du point de vue esthétique », de sorte que leur caractère original constitue le critère de la protection au titre du droit d'auteur, critère d'originalité esthétique qui n'est pas sans rappeler le caractère individuel du droit des dessins et modèles.

Pour parvenir à sa solution, la CJUE rappelle d’abord que la protection du droit d'auteur et celle du droit des dessins et modèles poursuivent des objectifs différents et sont soumises à des régimes distincts. En effet, « la protection des dessins et modèles vise à protéger des objets qui, tout en étant nouveaux et individualisés, présentent un caractère utilitaire et ont vocation à être produits massivement » (pt 50). La durée de protection plus limitée permet aux déposants de rentabiliser leurs investissements « sans entraver excessivement la concurrence ». Quant au droit d'auteur, il « est réservé aux objets méritant d'être qualifiés d'œuvres » et justifie une durée de protection plus longue. Le cumul de protection entre ces deux droits ne peut donc pas être automatique. La Cour affirme clairement le principe d'un cumul partiel de protection entre les droits et précise leur articulation. Ainsi, le cumul ne peut être envisagé que dans certaines situations (pt 52) et n'est permis qu'à condition que chacune des conditions des deux régimes soit remplie.

Cette solution d’un cumul conditionné et non automatique se comprend davantage en matière de mode, comme le souligne Anne-Emmanuelle KAHN, où de nombreux éléments peuvent être ressentis par le public comme étant esthétiques (« un élément décoratif sur une chaussure, une fleur sur un vêtement, un mélange de couleurs, une couture.. ».) sans être pour autant suffisamment identifiables pour être qualifiés d’œuvres (A-E KAHN, Un an de droit de la mode, Communication Commerce électronique n° 9, Septembre 2020).


A.S.R




Crédit : Vogue Netherlands

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