Les candidats de télé-réalité peuvent-ils bénéficier du statut d'artiste-interprète?


Les « droits voisins » du droit d’auteur, consacrés en 1985, reconnaissent un droit exclusif proche du droit d’auteur à des auxiliaires de la création tels que les producteurs de vidéogrammes ou de phonogrammes et les organismes de radiodiffusion. Mais cela concerne dans un premier temps les artistes-interprètes pour qui la proximité avec les auteurs est la plus évidente. L’artiste-interprète, comme l’auteur, met en jeu sa personnalité - en plus de sa personnalité physique et corporelle - dans son interprétation et ce encore plus qu’un auteur dans la mesure où la personnalité de ce dernier n'est qu'intellectuelle. Leurs prestations sont intimement liées puisque l’artiste-interprète interprète l'œuvre d'un auteur. Il ne crée pas l’œuvre au sens du droit d’auteur - sauf à interpréter sa propre création - mais l’artiste interprète reste proche de la création, rendant l'œuvre dans une certaine mesure accessible au public. 


Quelles sont les conditions pour bénéficier du statut d’artiste-interprète ? 


L’article L212-2 du Code de la propriété intellectuelle définie l’artiste-interprète comme « la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une œuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes ».

(1)  Contrairement au droit d’auteur, il n’y a pas de condition d’originalité ou de caractère personnel qui soit exprimé dans la loi pour que l’artiste-interpèle bénéficie de son statut. Cependant, on voit mal comment le caractère personnel de l’interprétation pourrait être écarté : l’interprète met nécessairement en jeu sa propre personne et même si l’interprétation donnée peut être considéré de « banale » pour la critique, il est peu envisageable qu’un juge prive un artiste-interprète de sa qualité au motif d’une interprétation banale. La première condition pour bénéficier du statut de l’article L212-2 est donc le caractère personnel, par mimétisme au droit d’auteur, même si cela ne ressort pas expressément de la disposition.

(2) Par ailleurs, comme il a été dit, il y a un lien très fort entre l’œuvre et l’interprétation : la deuxième condition est donc la nécessité d’une œuvre puisque sans oeuvre, il ne peut y avoir interprétation de l'œuvre. L’article mentionne une œuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes, liste a priori non limitative.  


(3) Enfin, il faut une interprétation de l’ œuvre. Cette condition exclue que son interprète ne soit par exemple qu’un simple figurant. En effet, sont privés du statut d'artiste-interprètes les artistes de complément dont la prestation est secondaire ou accessoire dans l’œuvre. C’est sur le fondement de ce critère que sont éliminés toute une série de personnes qui ressemblent à des interprètes mais qui n’en sont pas, comme les participants à des jeux télévisés ou à des émissions de télé-réalité.

Dans un arrêt du 13 novembre 2008 relative au documentaire Être et Avoir, la première chambre civile de la Cour de cassation estime que « n'a pas la qualité d'interprète au sens de l'article L212-2 du Code de la propriété intellectuelle, celui qui apparaît dans un simple documentaire excluant comme tel toute interprétation. » Ainsi, le professeur et les élèves qui apparaissaient dans le documentaire ne pouvaient revendiquer la qualité d'artiste-interprète.

De même, les participants d’émission de télé-réalité ont revendiqué telle qualité. Dans des affaires Koh-Lanta et L’Île de la Tentation de 2014, la chambre sociale de la Cour de cassation statuait de la sorte: « s'il a été retenu que les participants n'avaient pu faire preuve de beaucoup de spontanéité, avaient dû suivre des directives précises (…), il ne pouvait être sérieusement soutenu que les règles posées pour le déroulement de la série pouvaient être assimilées à un scénario, faute d'intrigue, d'un cheminement vers un dénouement posé à l'avance et de dialogues vraiment construits et, que ces participants n'étaient que des exécutants, n'avaient aucun rôle à jouer ni à faire preuve de création ni d'imagination, juste à exécuter un travail spécial basé sur la vie courante ; (…) leur prestation n'impliquait aucune interprétation » (Cass, soc, 19 févr. 2014, Koh Lanta ; Cass, soc, 19 févr. 2014, L'Île de la Tentation)

C’est donc sur le fondement du troisième critère de l’interprétation que les candidats de télé-réalité ne sont tributaires de l'article L212-2. En effet, le premier critère est en tout état de cause rempli: les candidats engagent leur personnalité intellectuelle physique et corporelle lors de leur participation à ces émissions. 

Dans l'affaire 
L'Île de la Tentation, les juges rappellent le concept de l'émission: « Quatre couples non mariés et non pacsés, sans enfant, testent leurs sentiments réciproques lors d'un séjour d'une durée de douze jours sur une île exotique, séjour pendant lequel ils sont filmés dans leur quotidien, notamment pendant les activités (plongée, équitation, ski nautique, voile, etc.) qu'ils partagent avec des célibataires de sexe opposé. À l'issue de ce séjour, les participants font le point de leurs sentiments envers leur partenaire. Il n'y a ni gagnant, ni prix. »


Même si l'arrêt ne le dit pas, c'est également l'absence d'œuvre de l'esprit à interpréter (le deuxième critère, donc) qui
entraîne logiquement le rejet de l'interprétation. Comme le précise la Cour, « les participants à l'émission en cause n'avaient aucun rôle à jouer, ni aucun texte à dire ». Il n'y avait donc pas d'œuvre préexistante à interpréter. "Fallait-il considérer qu'il existait une création, au sens du droit d'auteur, simultanée à son interprétation ?" s'interroge CARON. Là encore, l'absence de création est constatée car « il ne leur était demandé que d'être eux-mêmes et d'exprimer leurs réactions face aux situations auxquelles ils étaient confrontés ». Or, il est constant que les dialogues quotidiens de la vie de tous les jours ne sont pas des œuvres orales protégées par le droit d'auteur, notamment parce qu'il n'y a aucune volonté de créer (C. CARON, « Droits voisins - À la recherche de l’artiste-interprète… ») même si un droit privatif peut être obtenu dans le cas de réplique devenue culte (on pense au "Allô quoi" de Nabilla déposé à titre de marque dans les registre de l'INPI mais cela reste extrêmement rare). 


Si la solution de la chambre sociale se comprend pour des émissions tels que Koh Lanta et L’Île de la Tentation, la question connaît un regain d’actualité avec les nouvelles émission de télé-réalité tels que Les Marseillais, où la spontanéité des propos est parfois remise en doute. Si les candidats sont censés être ce qu’ils sont « dans la vraie vie », la production favorise certaines situations ou certains dialogues. Dès lors, on pourrait se demander si les candidats de ce type d’émission n’incarnent pas un rôle tels que de véritables acteurs suivant un script ou du moins le fil d’une intrigue ? En effet, au fil des saisons, le déroulement de l’émission peut s’apparenter à un scénario même si les dialogues ne sont sans doute pas posés à l’avance. Les intrigues défilent et se ressemblent: les mêmes personnages à l’exception d’une ou deux « nouvelles têtes », des romances, des conflits, une candidate qui intègre la « villa » pour découvrir l’infidélité de son concubin… Classique. Enfin, pour se démarquer, les candidats les plus pugnaces se doivent de faire preuve d’imagination en élaborant des situations dramatiques afin de s’assurer la meilleure visibilité à l’antenne. L
es participants à une émission de télé-réalité réagissent à des situations dont l'enchaînement peut être artificiel car décidé par la production. En ce sens, la doctrine considère cependant que cela ne suffit nullement à caractériser l'existence d'une œuvre de l'esprit (obs. A. Lepage, Ch. Caron, O. de Mattos, G. Decocq et A. Brüning, "De quelques points de rencontre entre le droit et l'émission loft story" : Comm. com. électr. 2001, étude 14).


La participation à une émission de télé-réalité ne permet pas de considérer les participants comme des artistes-interprètes. Ceux-ci n'exercent pas habituellement la profession d'artiste-interprète et c'est en considération de ce critère de non-appartenance à la profession qu'ils ont été sélectionnés par la société de production. Ils ne sont d'ailleurs pas identifiés comme tels par le public, qui les perçoit comme des personnes ordinaires. Même s'ils participent à une émission qui comporte des éléments de 
scénarisation et de répétition, et ce, afin de pouvoir répondre au format de l'émission déterminé par la société de production, ils n'ont pas été engagés en cette qualité d'artiste-interprète. En tout état de cause, l'émission ne peut être assimilée à un scénario proprement dit, faute d'intrigue, d'un cheminement vers un dénouement posé à l'avance et de dialogues vraiment construits. Les prestations demandées ne correspondent pas à l'exécution d'une œuvre littéraire ou artistique et le fait que ces émissions, qui correspondent à un nouveau genre bien identifié dans le domaine de l'audiovisuel depuis quelques années, soient vues comme un divertissement par des téléspectateurs, ne peut conférer à leurs participants, la qualité d'artiste interprète.



A.S.R

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