L'atteinte au droit de marque sur Internet


 « Votre marque n’est pas ce que vous en dites, mais ce que Google en dit » écrivait le journaliste américain Chris Anderson dans son livre La nouvelle révolution industrielle. Cette phrase témoigne de la place acquise par le géant du web dans ce que l’on peut appeler « l’e-réputation » des entreprises. À cet égard, l’homme d’affaire Warren Buffet déclarait: « Il faut 20 ans pour construire une réputation et cinq minutes pour la détruire ».

Cela explique pourquoi les titulaires ont tout intérêt à protéger leurs marques contre les atteintes qui leur sont portées sur Internet. En effet, si la « toile » a créé de formidables opportunités pour les sociétés en terme de communication de leur message de marque, beaucoup de facteurs en ont fait un terreau fertile pour les atteintes aux marques: sa portée mondiale, le fait qu'il soit en grande partie non réglementé, et la célérité de son développement. Au jour du 25 janvier 2021, les pages web sont estimées au nombre de 5.57 milliards (www.worldwebsize.com).


L’atteinte à la marque doit être entendue comme une altération à ses fonctions. En effet, il n’y aura jamais d’atteinte à la marque si celle-ci ne répond pas à ses fonctions puisque la marque ne sera tout simplement pas valable. La fonction principale de la marque est depuis la jurisprudence Arsenal la garantie de l’identité d’origine des produits
, c’est-à-dire le réflexe pour le consommateur de rattacher un produit à une entreprise donnée, ce qui crée dans son esprit une certaine garantie de provenance et de qualité. Au fil du temps, de nouvelles fonctions, dites secondaires, ont vu le jour — et ce depuis l’arrêt L’Oréal contre Bellure en 2009 — au rang desquelles figurent les fonctions de garantie de communication, de publicité et d’investissement.

En 2011, l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) livrait un panorama des principales atteintes aux marques sur Internet
parmi lesquelles se trouvaient le commerce des contrefaçons — pour lequel l’Office européen de la propriété intellectuelle (EUIPO) estimait les pertes à plus de 83 milliards d’euros par an au cours de la période 2013-2017 —, le référencement, l’hameçonnage ou encore le cybersquattage. Qu’il s’agisse du référencement, à savoir l’achat de mots-clé sur les moteurs de recherche afin d’apparaître dans les premiers résultats, ou du cybersquattage, défini comme  l’enregistrement abusif de marques en tant que nom de domaines, l’objectif du contrefacteur est le même: se placer frauduleusement dans le sillage d’une marque afin de bénéficier de son succès et de sa réputation déjà acquise auprès du public.

Il convient de rappeler que le droit des marques est irrigué par les principes de spécialité (la marque déposée ne l’est que pour certains produits et services déterminés) et de territorialité (la marque déposée n’est protégée que dans la pays du dépôt). Deux tempérament peuvent néanmoins être émis au deuxième principe: tout d’abord, il existe une procédure d’enregistrement internationale avec la marque communautaire qui octroie une protection sur l’ensemble des États-membres; ensuite la marque notoire, c’est-à-dire la marque connue d’une large fraction du public mais non enregistrée, peut faire exception au principe de territorialité en ce qu’elle peut être protégée au-delà du seul pays du dépôt. Mais qu’en est-il de l’environnement numérique par essence dépourvu de frontière? Il n’est guère prévu que l’usage des marques sur Internet constitue une troisième exception à l’application stricte du principe de territorialité.

Au demeurant, le mot « Internet » est une adjonction des termes « international network » qui peuvent être traduits par « réseau international ». C’est précisément ce caractère transnational et immatériel propre à Internet qui contraste fâcheusement avec la territorialité qui irrigue le droit des marques. Il en résulte une distorsion entre la réalité économique et le régime juridique. Force est d’admettre qu’Internet, de par sa nature, son absence de limites territoriales associée aux possibilités d’anonymat que celui-ci offre, facilite des atteintes aux droits de propriété intellectuelle.
 Compte tenues de ces difficultés, comment lutter efficacement contre les atteintes subis en ligne par les titulaires de droit? 

Si les principales atteintes au droit des marques sur Internet se décèlent par la volonté des contrefacteurs de se placer dans leur sillage permettant des poursuites sur le terrain du Code de la propriété intellectuelle aussi bien que sur le terrain de la responsabilité civile (I), il n’en demeure pas moins que les poursuites effectives des contrefacteurs sont mises à mal par les difficultés probatoire que pose le contexte digital (II).


I) Les atteintes aux marques en ligne constitutives d'actes de contrefaçon et de parasitisme


Les différents types de pratiques qui portent atteinte aux marques à l’ère d’Internet ont en commun de vouloir « capter » la clientèle d’une marque par le truchement digital, et constituent en ce sens à la fois des actes de contrefaçon et des actes de parasitisme.  En effet, par l’achat de référencement en ligne dont ils ne sont pas titulaires (A) ou par le cybersquattage dans toutes ses formes (B), les auteurs desdites atteintes peuvent être  poursuivis sur le fondement des articles L713-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle ainsi que sur le fondement de l’article 1240 du Code civil. 

A) L'achat de mots-clés faisant référence à des marques: la pratique du référencement en ligne


Selon l’OMPI, le référencement est l’art de modifier légèrement des sites web pour être positionné en tête des moteurs de recherche les plus prisés grâce à des mots clés associés aux produits et services d’une société.
C’est principalement ainsi que Google gagne de l’argent: en définitive, l’entreprise n’est autre qu’un gigantesque service publicitaire. En effet, le service Google Ads, anciennement Google Adwords, est un service fourni par Google à des annonceurs qui consiste à acheter des mots-clés par référencement afin que du contenu sponsorisé apparaisse dans la recherche des internautes.

Il arrive parfois que l’annonceur ne soit pas titulaire de la marque achetée mais espère apparaître bien classé dans les résultats de recherche. L’arrêt Google contre Louis Vuitton Malletier en en est une illustration.
En l’espèce, la société Louis Vuitton n’apparaissait pas en premier lorsque pourtant la recherche incluait sa dénomination sociale, et pour cause: ces mot-clés avaient été accaparés par les annonceurs. La société lésée assigne alors les annonceurs, Google Corporate ainsi que la filiale française. Les annonceurs sont-il des contrefacteurs lorsqu’ils achètent un référencement dont ils ne sont pas titulaires? Quid de l’hébergeur ? Des intermédiaires techniques? 

La Cour de Justice se place sur le terrain de la Directive Commerce Électronique pour distinguer trois types d’opérateurs sur Internet:

Le fournisseur d’accès à Internet (FAI) est celui qui fournit la technologie. Ce sont les opérateurs tels qu’Orange, SFR ou Bouygues. Ces opérateurs n’engagent en rien leur responsabilité puisqu’ils ne disposent d’aucun contrôle sur les contenus.


Les éditeurs proposent ou créent le contenu. Ils engagent donc leur responsabilité dans les conditions du droit commun, sans limite.

Les hébergeurs étaient à l’époque ceux qui donnaient de la capacité de stockage ou de la mémoire en ligne pour créer des sites. Ils engageaient leur responsabilité dans la mesure où un internaute leur notifiait un contenu illicite et qu’ils n’agissaient pas promptement pour supprimer le contenu litigieux. En dehors de ces conditions, l’hébergeur n’exerçait pas de contrôle et ne pouvait donc voir sa responsabilité engagée. Autrement dit, son simple statut d’hébergeur l’immunisait contre toute poursuite, d’autant plus que la notification répondait à un formalisme très exigeant. Cependant, au début des années 2000, de nouvelles plateformes voient le jour: on parle d’un « web 2.0 » bien plus participatif. S'est alors posée la question de savoir si ces nouveaux opérateurs tels que YouTube, Dailymotion ou encore Facebook bénéficiaient de la quasi-immunité des hébergeurs ou si au contraire ils détenaient le statut bien moins favorable d’éditeurs.

La difficulté se trouve donc dans la distinction entre l’hébergeur et l’éditeur à l’ère du web.2.0, et c’est de là que le présent arrêt tire sa notoriété. Le critère de distinction réside dans la détermination d'un comportement actif ou passif de l’opérateur, nous éclaire la Cour de Justice. En effet, cette dernière statue en faveur de Google Ads en soutenant que son rôle n'est pas véritablement actif en ce qu’il ne contrôle pas les contenus. Par conséquent, le service publicitaire de Google ne verra sa responsabilité engagée qu’après notification de la présence d'un contenu illicite s’il n’agit pas promptement afin d’y remédier. Pour conclure, le premier des GAFAM bénéficie du statut extrêmement favorable de la quasi-immunité propre aux hébergeurs au sens de la Directive Commerce Électronique et de la Loi pour la confiance dans l’économie du numérique (LCEN).

Le raisonnement de la Cour de Justice dans l’affaire Google Adwords sera réitéré, notamment l’année suivante, dans l’affaire L’Oréal contre Ebay dans laquelle des particuliers s’adonnaient à la vente de produits L’Oréal sur la plateforme de vente de biens en ligne sans l’autorisation de l’entreprise de cosmétiques.
Dans cette affaire, il convenait à nouveau de déceler le statut juridique d’Ebay au sens de la Directive et de la LCEN pour savoir si sa responsabilité était ou non engagée. La CJUE suggère cette fois que le service Ebay a bel et bien un rôle actif en ce qu’il offre son assistance mais dispose aussi d’une politique proactive sur le contenu des annonces via la relance aux annonceurs, les suggestions d’optimisation des annonces, etc. De fait, Ebay, contrairement à Google Ads, engage pleinement sa responsabilité sur le fondement des textes cités.

Pour une application plus récente d'un raisonnement analogue de la Cour de Justice, il peut être cité l’affaire Mk Advokaten dans laquelle les juges européens exonéraient un cabinet d’avocat de la qualité de contrefacteur en ce que celui-ci ne pouvait avoir la maîtrise sur les annonces en ligne. En l'espèce, le cabinet avait antérieurement été condamné pour contrefaçon du fait de l’utilisation d’une marque verbale portant atteinte à celle d'un autre cabinet d’avocat. Internet n'avait cependant pris en compte cette condamnation passée en force de chose jugée puisque certaines plateformes de recherche continuaient à mentionner l’ancien nom du cabinet. La CJUE estime que cette utilisation prolongée du nom litigieux était externe à la volonté du cabinet, un quelconque rôle actif ne pouvant vraisemblablement jouer en l’espèce (CJUE, 2 juill. 2020, Mk Advokaten). Au fil des arrêts, on le voit, les juges se livrent à une appréciation in concreto qui prend compte des spécificités propres à chaque affaire qui leur est soumise. 


De surcroît, le Tribunal judiciaire de Paris précisait dans une récente ordonnance de référé du 8 janvier 2020 que l’existence de l’article L.716-6 du Code de la propriété intellectuelle n’amenait pas nécessairement à écarter l’application du « référé-internet » de l’article 6.I.8 de la LCEN. En effet, il est question selon le juge de deux régimes distincts non seulement par leur nature mais aussi par leurs modalités et leurs objectifs, ce qui explique qu'il n'y ait pas lieu d’appliquer l’adage specialia generalibus derogant (le spécial déroge au général) pour écarter l’article 6.I.8 au bénéfice exclusif de l’article L. 716-6.


 
B) La captation du trafic engendré par les sites officiels des marques: la pratique du cybersquattage et ses dérivés


Le cybersquatting consiste à déposer, en contrevenant volontairement à un droit de marque, un nom de domaine correspondant au nom d'une entité ou de l'une de ses marques, afin de profiter du trafic qu'entraîne le site officiel de la marque. Ainsi, l’individu s’adonnant à une telle pratique espère tirer un bénéfice
— fût-il direct ou indirect — en s’octroyant indûment un nom de domaine.

Dans les cas de cybersquatting, la qualification de contrefaçon de marque est délicate car il n’y pas forcément d’usage du nom de domaine pour des produits et services. En effet, les noms de domaine demeurent souvent inexploités ou alors ils le sont sous la forme d’un site parking. En France, les procédures UDRP ou SYRELI permettent de régler ce type de litiges afin d’obtenir le transfert ou l’annulation du nom de domaine réservé frauduleusement en utilisant simplement le droit de marque sans besoin de qualifier la contrefaçon.

D’autres atteintes découlent du cybersquatting comme le typosquatting ou le dotsquatting. Dans les deux cas, l’idée est de créer un risque de confusion aux yeux du public afin de capter la clientèle d’une marque. Plus exactement, la première pratique vise à capter le trafic du site officiel et récolter des e-mails adressés à la société victime. Pour ce faire, le typosquatteur procède à l’enregistrement d’un nom de domaine dont l'orthographe est proche d'une marque, d'une dénomination sociale, d'un nom de famille, voire même d'un titre d'une oeuvre de l'esprit. Le but recherché est de faire en sorte que l'orthographe du nom de domaine frauduleux soit si proche de l'orthographe originelle de la marque dont il cherche à capter le trafic que l'internaute, par une faute de frappe, se retrouve sur le site du typosquatteur et non sur le site souhaité.

Quant au dotsquatting, la logique est la même sauf que la pratique consiste en l'enregistrement de noms de domaine précédés de « www » afin de capter le trafic des internautes ayant oublié le point entre le « www » et le nom de domaine.

Les réseaux sociaux ont également donné lieu à un certain nombre d’atteintes qui s’inscrivent dans le sillage du cybersquatting: on parle de username squatting lorsqu’il est fait usage d’un nom d’une personne ou d'une marque tierce en guise de nom d’utilisateur sur une plateforme telle que Twitter ou Instagram
Il est alors vivement conseillé aux entreprises de « réserver » sur chaque réseau social, même s'il n’en est pas fait usage, le nom d’utilisateur associé au nom de leur marque avant toute réservation par des tiers.  Si la jurisprudence en la matière est peu abondante, quelques décisions de juges du fond témoignent de la difficulté de s’opposer judiciairement à l’emploi d’une marque sur un réseau social (TGI Paris, 28 novembre 2013, Plus belle la vie; TGI Paris, 25 septembre 2014, Sté JR Connect et Sté Night Management, n°14/00145). 


Selon Joseph JEHL, docteur en droit, le cyberquattage témoigne du caractère inadapté du cadre légal interne à l’univers d’Internet.
Pourtant, l’OMPI élaborait dès 1999 l’UDRP  (Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy), un système de règlement extrajudiciaire des litiges relatifs aux noms de domaine. Celui-ci, en association avec le Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI, a pour avantage la célérité des décisions et l’absence de limite géographique de la protection.

En tout état de cause, comme le réseau Internet peut être capté partout, l'usage qui est fait du signe depuis n'importe quel point de la planète va pénétrer sur le territoire français et porter atteinte à l'exclusivité des marques françaises. 
Cependant, les poursuites restent d'une certaine manière limitée du fait de l’anonymat que confère Internet mais aussi des conditions à remplir pour que l'atteinte soit caractérisée (II). 



II) Les limitations légales aux poursuites des contrefacteurs sur Internet

Aux termes de l’article 5 de la Directive 2008/95/CE, pour qu’il y ait une atteinte à une marque  atteinte sur Internet inclue, et que le responsable soit poursuivi au titre de la contrefaçon, est exigée la réunion de certaines conditions et notamment un usage de la marque soit dans la vie des affaires, ce qui exclue alors les utilisations de marques hors du cadre concurrentiel (A), mais aussi la preuve d’un risque de confusion entre les signes en cause (B). De fait, les possibilités de poursuites des contrefacteurs en lignes ne sont pas illimitées et se voient restreintes par la loi-même.


A)
Première condition: l’usage de la marque dans la vie des affaires et la subséquente exclusion des utilisations de marques hors du cadre concurrentiel

Notion récurrente dans les textes communautaires, l'« usage dans la vie des affaires », n'avait pas été véritablement utilisée par la jurisprudence avant 2002 dans l'arrêt Arsenal de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE)
, et était pratiquement inconnue en droit français puisqu'elle n'avait pas été transposée dans la loi sur les marques du 4 janvier 1991 ni appliquée par la jurisprudence.

Si cette notion est difficile à appréhender — d'autant plus lorsque l’on se situe dans l’univers immatériel d’Internet — la Cour de Justice la définit comme une « activité commerciale visant un avantage économique » (arrêt Arsenal précit.). Cette notion, transposée aux articles  L. 713-2 et L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, consacre donc une évolution de la jurisprudence révélatrice de l'impact du droit communautaire sur l'interprétation des textes internes.

Au fil de la jurisprudence, la notion d'usage dans la vie des affaires a été éclaircie. Aujourd'hui, il est clair que la distinction entre activité commerciale et sphère privée est dépassée: une activité commerciale serait constituée dès lors qu’elle viserait un avantage économique, que ce soit dans le cadre du domaine privé ou dans le cadre professionnel. Par ailleurs, la notion doit être interprétée comme impliquant « un comportement actif et une maîtrise, directe ou indirecte, de l’acte constituant l’usage » comme le souligne le Professeur CARON
, ce qui, en somme, exclue les simples intermédiaires d’Internet.

À cet égard, l’affaire Google Adwords est à nouveau pertinente puisque la CJUE statuait en deux temps: d’une part, comme il a été dit, sur le terrain de la Directive Commerce Electronique, et d’autre part, sur le terrain du droit des marques. En effet, la question se posait de savoir si Google intervenait dans la vie des affaires. La Cour de Justice n’a éprouvé aucune difficulté pour répondre par l’affirmative puisque Google, entreprise commerciale, agit dans un cadre publicitaire. Toutefois, Google faisait-il un usage dans la vie des affaires? Cette fois, la réponse est négative en ce que le service du géant se contentait en soi de mettre en relation des annonceurs et des clients. Il aurait donc fallu que Google fasse une utilisation du signe dans le cadre de sa propre activité commerciale pour être poursuivi en contrefaçon.

De même, dans l’affaire qui opposait L’Oréal à Ebay, la CJUE précisait qu’un particulier pouvait bel et bien faire un usage dans la vie des affaires. En effet, les particuliers étaient localisés hors de l’Union Européenne, ce qui posait des difficulté en terme du principe de territorialité de la marque et de l’applicabilité des sanctions des textes européens. C'est ainsi que la Cour de Justice consacre la méthode de la focalisation du ciblage: certes les personnes sont établies dans des pays tiers, mais c’est le public européen qui est visé. Pour ce faire, les juges eurent recours à un faisceau d’indice: le nom de domaine, la langue utilisée, la possibilité de se faire livrer les marchandises en Europe, etc. En revanche, la simple accessibilité sur Ebay ne suffit pas à élaborer le ciblage. La CJUE se fonde alors sur « le volume et la fréquence » des échantillons vendus pour conclure que les particuliers faisaient un usage dans la vie des affaires afin de les considérer comme contrefacteurs.


Par ailleurs, l’exigence de l’usage dans la vie des affaires peut être considérée comme une réduction de la protection du droit des marques à sa fonction essentielle. 
Par conséquent, en absence d'une atteinte à la fonction essentielle de la marque de garantie d’identité d’origine, la condition d'usage dans la vie des affaires peut faire défaut. Il convient alors de distinguer l’atteinte à la fonction essentielle de la marque de l’atteinte à sa valeur économique. En effet, si l’usage de la marque ne relève pas de la vie des affaires, l’atteinte pourra seulement provoquer une baisse de la valeur patrimoniale de la marque et cela n’aura aucun effet sur sa capacité à garantir l’origine du produit. La protection accordée par le droit des marques n’aura donc pas lieu à s’appliquer lorsqu’une personne reproduit le signe en dehors du cadre concurrentiel.

Ainsi, ne sont pas considérés comme des usages portant atteinte aux fonctions de la marque l’utilisation de la marque dans son sens courant pour définir la qualité d'un produit
, la description de ses caractéristiques pour faciliter la consultation d'un catalogue ou encore la reprise du signe constituant la marque comme dénomination sociale ou nom commercial, ces signes distinctifs n'ayant pas pour fonction de distinguer un produit ou un service sauf si bien évidemment, le tiers appose ce signe sur des produits ou l'utilise de façon à ce qu'il s'établisse un lien avec des produits.

L’usage d’une marque par un romancier
, par un journaliste ou encore par une émission télévisée satirique ne constituent pas des actes de contrefaçon et ne peuvent donc être sanctionnés en cas d’abus que par la mise en oeuvre de la responsabilité civile. En effet, l’absence d’atteinte au droit de la marque n’exclut pas que ces utilisations soit condamnées sur d’autres fondements comme la responsabilité civile de droit commun si est rapportée la preuve d’une faute.

Il est vrai que l’exception satirique ou de parodie existe en droit d’auteur et la question se pose de savoir si elle pourrait être invoquée en droit des marques. Les juges ont tendance à l’admettre du moins implicitement à travers un fait justificatif fondé sur l’utilisation caricaturale de la marque. 
Comme l’a rappelé un arrêt d’assemblée plénière du 12 juillet 2001, les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l’ancien article 1382 du Code civil, aujourd’hui l'article 1240. Les usages relevant de la liberté d'expression consistent le plus souvent en la citation de la marque dans un but d'information sans finalité commerciale ou promotionnelle ou, la référence à la marque dans le cadre d'une polémique.

La question connaît un regain d’actualité à propos de la reproduction de la marque d’autrui sur des sites Internet par des associations afin de critiquer le comportement des entreprises propriétaires de ces marques. Ces utilisations polémiques n’ont pas pour finalité de promouvoir des produits concurrents, comme dans le domaine de la publicité comparative, et sont donc étrangères à la vie des affaires (
Cass, Ass, 12 juill. 2000, Guignols de l’info c. Peugeot, n°99-19004; Cass, 2011, Je Boycott Danone (c. Greenpeace); TGI Paris, 17 nov. 2006, Greenpeace c. AREVA; Cass, civ. 2e, 19 oct. 2006, Camel, n°05-13.489). Par exemple, pour rejeter l’action de la société AREVA contre Greenpeace sur le fondement de la contrefaçon, le TGI de Paris relève que « le litige est un différend étranger à la vie des affaires et à la compétition entre entreprises commerciale ». En définitive, cela implique que la notion de vie des affaires est plus large que la fonction essentielle de la marque qui consiste à permettre d'identifier l'origine des produits et services marqués de ceux des concurrents du titulaire de la marque. C’est pourquoi définir l'usage dans la vie des affaires en fonction d'un rapport de concurrence reviendrait selon Emmanuel BAUD à vider l’article européen de son sens.



B) Deuxième condition: la preuve d'un risque de confusion entre les marques

L’appréciation du risque de confusion dans l’esprit du public est essentielle pour déterminer s’il y a ou non atteinte aux droits d’un titulaire de marque, ce qui vaut également pour les atteintes en ligne. 

Dans tous les cas où il n’est pas question d’une copie servile du signe, la preuve d'un risque de confusion doit obligatoirement être rapportée. Cela correspond aux cas où les signes sont simplement similaires avec une similarité des produits ou services; lorsque les signes sont identiques mais que les produits ou services ne sont que similaires, c’est-à-dire d'un domaine voisin (par exemple le service de communication JOKER et JOKER le minitel), et enfin, il s’agit des cas où les signes sont similaires mais les produits ou services identiques. Ce dernier cas concerne toutes les formes d'imitations et toutes les hypothèses où il y a une différence plus qu’insignifiante.

La similitude des signes peut être visuelle (par exemple, un cheval qui galope dans un cas, et qui trotte dans l'autre), phonétique ou même intellectuelle (v. par ex, l’affaire de la vache sérieuse contre la vache qui rit
).

La CJUE a précisé dans ses fameux arrêts Sabel (1997), Canon (1998) et Lloyd
 (1999) comment le risque de confusion devait être rapporté. Ainsi, il s’agirait de prendre en compte « l’impression d’ensemble » produite par les marques en cause sur le « consommateur moyen », l’homme de référence en matière de droit des marques. L’appréciation du risque de confusion doit ainsi se faire de manière globale et implique notamment qu’un « faible degré de similitude entre les produits ou services désignés » soit compensé par un « degré élevé de similitude entre les marques et inversement ». Dès lors, le faisceau d’indices utilisé comprend la notoriété du signe, sa distinctivité, sa proximité avec le signe litigieux, etc. Il convient de rappeler que la contrefaçon s'apprécie par les ressemblances et non les différences, puisque le contraire ferait le jeu des contrefacteurs qui n’auraient qu’à modifier certains détails minimes afin échapper à une condamnation.

Cependant, un titulaire peut échapper à la nécessité de rapporter la preuve d’un risque de confusion, lorsque sa marque a été copiée de façon identique sur Internet. On parle de « reproduction servile » car cela se réfère aux cas de double identité: identité de signe et identité de produits ou services. Dans ces cas de double identité, l'atteinte est telle qu’il existe une présomption irréfragable de risque de confusion.

Toutefois, la conception de la jurisprudence a évolué à cet égard: traditionnellement la jurisprudence française entendait ces cas de double identité de façon accueillante. En effet, lorsque les signes étaient quasi-identiques ou quasi-serviles, alors ils étaient tout de même soumis à ce régime favorable aux titulaires. De même, lorsque les différences étaient insignifiantes, alors l'identité de signe était tout de même reconnue. Les juges allaient encore plus loin car ils admettaient la présomption irréfragable de risque de confusion lorsque les différences étaient plus importantes et qu'elles consistaient en un changement de lettres (Kenzo/Kendo
); une inversion (West Jeans/Jeans West); une reproduction partielle (Sun Valley/Deep Valley) ou encore une reproduction avec adjonction (Marie/Marie Brioche).

C'est pourquoi la jurisprudence communautaire est venue sur ce point durcir sa position dans son arrêt LTJ de 2003: aujourd’hui pour qu’il y ait contrefaçon par reproduction à l’identique, les deux signes doivent être totalement identiques, sauf différence insignifiante.
Dans les autres cas, il faut en tout état de cause apporter la preuve du risque de confusion (
CJCE, 20 mars 2003, LTJ, Aff. C-291/00).


Depuis, la jurisprudence française s’est alignée sur celle de la CJUE: il a ainsi été jugé que NRJ Transport et NRJ n’étaient pas des signes identiques mais simplement similaires
tout comme les signes Polo Ralph Lauren et The Polo Lauren.

Outre la reproduction d'une marque sur Internet qui nécessite cette fameuse preuve du risque de confusion, d’autres actes interdits nécessitent la même preuve, notamment lorsqu’il est fait usage de la marque (usage contrefaisant, délit de remplissage…) ou lorsque la marque est altérée ce qui consiste généralement en la suppression ou la modification du signe sur un produit authentique.

Un autre élément vient limiter les poursuites des contrefacteurs en ligne par les titulaires puisqu’il est entendu que dans les cas visés par l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, seul l'usage portant atteinte à la fonction essentielle de la marque peut être pris en considération lorsqu'il s'avère nécessaire d'établir un risque de confusion.

Cependant, la jurisprudence se montre plutôt conciliante puisqu'elle a pu admettre qu’il n'est pas nécessaire de prouver un risque de confusion dans le cas de l'atteinte à la marque renommée, un simple risque d’association, opéré par le public, entre les deux signes étant suffisant (CJCE, 2003, Adidas).
Cette souplesse est à tempérer puisqu’elle est subordonnée à la preuve du profit indûment tiré par l'utilisateur du signe ou du préjudice porté au titulaire. Cela correspond aux trois cas de figure de l’arrêt Intel Corporation (CJCE, 2008, Intel Corporation): 

La dilution, le grignottage ou le brouillage de la marque porte préjudice au caractère distinctif de la marque. En effet le produit du concurrent dilue la marque qui devient, de fait, moins distinctive aux yeux du public.

Le ternissement ou l'avilissement de la marque porte préjudice à sa notoriété ou à sa renommée. La marque vient alors à perdre de sa superbe.
En effet, la perte en image de marque est telle, que le public est amené à ne plus lui assimiler une certaine qualité. C'est ainsi que les marques de luxe ne vendent leur produit dans seulement certains points de vente.  Et pour cause, ces marques recherchent avant tout une adéquation entre la qualité de leurs produits et la qualité du distributeur, des qualités qui ont trait, entre autres, au magasin, au personnel, au type de clientèle... Ici vient se greffer la problématique du commerce en ligne. En effet, certains producteurs ont considérés que la vente en ligne n’était pas en adéquation avec leurs produits. Dans l'affaire Pierre Fabre (CJUE, 2011, Pierre Fabre), le fabricant de produits pharmaceutique avait introduit dans ses contrats de distribution sélective des clauses d'interdiction de vente passive, autrement dit de vente en ligne. L’Autorité nationale de la concurrence considère que cette interdiction est anticoncurrentielle car elle va au-delà des simples critères de qualité. De plus, il existait toujours la possibilité pour Pierre Fabre d’introduire des critères de qualité dans l’élaboration du site de vente en ligne avec la possibilité, par exemple, d’interroger un pharmacien dans une hotline afin que l'adéquation entre la qualité des produits et la qualité du distributeur soit retrouvée.

Le dernier cas est celui du parasitisme qui n'est autre que la volonté de se placer dans le sillage d'une marque afin de tirer indûment profit de sa renommée. Par exemple, le Tribunal de l'Union Européenne a pu juger que la marque Viaguara se plaçait dans le sillage de la marque Viagra (TUE, 2012, Viaguara). De même, la Cour d’appel de Versailles jugeait que la personne dont le patronyme était Milka se plaçait dans le sillage de la célèbre marque de produits au chocolat en utilisant la même écriture et le même violet sur son site professionnel (CA Versailles, 2006, Milka c. Kraft Foods). Nul besoin de prouver ici un préjudice: le simple parasitisme suffit.

Ces trois cas de figure sont susceptibles de réparation sur le terrain de la responsabilité civile ou de la contrefaçon dans le cas des marques renommées. La personne assignée peut toutefois y échapper si elle apporte la preuve de « juste motifs », que l’EUIPO, anciennement OHMI avait pu définir comme une « réelle obligation d'utiliser la marque pesant sur le défendeur » (OHMI, 2001, Hollywood).
Pour des exemples de juste motifs, peuvent être cités l’utilisation antérieure de bonne foi (CJUE, 2014, Redbull)
, l’usage de son nom patronymique  dans son activité professionnelle (Cass, com, 10 juill 2018, Taittinger), ou encore l’usage de mots-clés sur Google Ads si la marque « propose une alternative » (CJUE, 2011, Interflora c. Marks & Spencer)ce qui n'a pas réellement le mérite d'être clair.


 Conclusion


Si le risque de confusion dans les cas de cybersquatting ou de dotsquatting est évident, il semble qu'une action sur le fondement du droit commun de la responsabilité délictuelle est plus accessible pour les titulaires qui ont subi une atteinte à leur marque. En effet, il est possible d'obtenir le même résultat — la cessation de la pratique en plus de dommages et intérêts — par des efforts moindres: la simple preuve de la faute que constitue l’acte parasitaire lui-même. La condamnation pour contrefaçon exige plus de diligences puisque la preuve d’un usage de la marque dans la vie des affaires par le présumé contrefacteur ainsi que le risque de confusion entre les signes est à rapporter par le titulaire.

Outre les limitations par la loi, la poursuite des contrefacteurs en ligne est en tout état de cause mise à mal par la difficulté de la levée de l’anonymat. Pour échapper à toute action en justice engagée par les tribunaux des pays dans lesquels ils sont virtuellement présents et dans lesquels ils génèrent des bénéfices, il est aisé pour un contrefacteur d’utiliser des serveurs ou des fournisseurs Internet offshore. c’est-à-dire extra-territorial.

Au vu des propos développés, il apparaît que les sociétés ne peuvent se contenter des recours judiciaires traditionnels pour lutter contre l’utilisation abusive des marques sur Internet. Ainsi, il semble impératif de mettre en place, en complément des systèmes de protection juridique en vigueur, des stratégies proactives de protection des marques.

Un pas en ce sens a d’ores et déjà été fait avec la création de sociétés telles que Mark Monitor qui développent des logiciels destinés à protéger les marques d'entreprise contre la contrefaçon, la fraude, le piratage et le cybersquattage sur Internet. Cela atteste qu'en étudiant tous les moyens et les tactiques que les contrevenants pourraient mettre à profit, y compris hors connexion, il est possible de piéger les contrefacteurs de marques par le truchement de leurs propres outils…





A.S.R 


Crédit: Pinterest (https://pin.it/2MtT2Sj) 

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