La perte du droit sur la marque: le cas de la dégenerescence

 

        Si le titulaire d'une marque peut être déchu de ses droit au terme de cinq années de non-exploitation, il peut également perdre son droit sur la marque en cas de non renouvellement tous les dix ans, en cas d'annulation ou encore par renonciation. En outre, il existe un cas plus particulier de perte de la marque qui n'est autre que la déchéance pour dégénérescence. Cela se présente dans deux cas de figure: en cas de marques devenues usuelles (I) et en cas de marques devenues déceptives ou trompeuses (II). 


I) La déchéance de la marque devenue usuelle

La déchéance de la marque devenue usuelle se fonde sur l’inaction du propriétaire quant à l'utilisation généralisée de sa marque la rendant alors générique, cette règle devant cependant être strictement interprétée afin de ne pas pénaliser les propriétaires de
marques notoires qui seraient alors  « victimes de leur succès ». 


L’article L714-6 du Code de la propriété intellectuelle énonce que le propriétaire d’une marque encourt la déchéance de ses droits lorsque cette marque devient, de son fait, la désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service. Si « le fait » du propriétaire peut être un acte positif, comme un excès de publicité par exemple, il s’agit le plus souvent d’une abstention: il a omis de défendre sa marque en interdisant aux tiers d’utiliser le signe et de le banaliser.

Ainsi, le propriétaire de la marque Piñacolada, est resté passif face à l'emploi généralisé de l'expression pour désigner un cocktail alcoolisé notamment dans des livres de recettes, sur des sites internet, et sur les cartes de bars ou de restaurants, provoquant alors sa déchéance (
CA, Paris, 19 oct. 2001, Piñacolada, PIBD 2002, III, p.79). De même, dans un arrêt en date du 20 avril 2005, la cour d’appel de Paris a jugé que l’entreprise Vintage  « n’a exercé qu’une seule action contre ses concurrents, ne s’est pas opposé à l’enregistrement de nombreuses marques dans la même classe que la sienne et n’a pas agi contre les journaux et magazines» (CA Paris, 20 avr. 2005, Vintage, PIBD 2005, III, p.473). Enfin, la même sanction frappe le titulaire de la marque qui a fait preuve de réactions « insuffisantes, peu proportionnées à l’emploi massif et amplement répandu » du terme « fooding » pour designer une nouvelle tendance culinaire, puisqu’il ne justifiait que d’une seule action en justice, de l’envoi de deux lettres à des sociétés ainsi que d’une mise en demeure, et qu’il n’avait mis en œuvre aucune action contre des journaux et magazines utilisant le nom de sa marque de façon générique (CA Paris, 31 oct. 2007, Fooding , pourvoi n°06/18963). 
Toutefois, ce dernier arrêt sera cassé au motif que les juges du fond n’ont pas détaillé les produits ou services enregistrés pour lesquels l’usage de cette dénomination était devenu courant. La jurisprudence précise d’ailleurs que cette réaction doit aller au-delà de la simple action contre les concurrents, elle doit aussi s’accompagner d’une campagne d’information auprès du public.

         

À l’inverse, la Cour de cassation s’oppose aux demandes de déchéance de marque en se basant sur des indices attestant de la « vigilance réelle et suffisante » des titulaires. Par exemple, la chambre commerciale a rejeté la demande de La Redoute visant à obtenir la déchéance de la marque « La Pierrade » dédiée aux appareils de cuisson, et ce afin de pouvoir utiliser ce terme dans ses catalogues. La Haute-juridiction relève la rigueur dont a fait preuve les propriétaires successifs de la marque afin d'éviter qu’elle ne devienne un terme usuel pour désigner dans le commerce des articles de cuisson, notamment en mettant en demeure de nombreux distributeurs ou revendeurs d'appareils électroménagers l’utilisant sans autorisation ou encore, en s’opposant à l'insertion du mot "pierrade" dans "L'Officiel du Scrabble » (Com, 18 mai 2010, La Pierrrade, PIBD, 2010.III.487).


La dégénérescence ne doit pas être confondue avec les effets banalisant de la notoriété, même si les conséquences de cette dernière peuvent conduire à faire de la marque la désignation usuelle du produit. C’est le cas par exemple des marques « Caddie », « Cellophane », « Kleenex », « Alcootest », « Bic », « Scotch », « Stabilo » ou encore « Frigidaire ». Pour qu’une marque notoire dégénère, il faut que son titulaire commette une faute d’inaction en laissant le public employer la marque comme terme usuel, ou qu’il ait lui même utilisé sa marque comme la désignation usuelle du produit. C’est pourquoi Google s’est battu pour faire retirer des dictionnaire le verbe « to google » afin d’éviter toute dérive banalisante.

En définitive, les cas de dégénérescence de marques devenues usuelles restent relativement limités malgré quelques exemples historiques tel que « Esquimau
 » ou « Bikini ».


II) La déchéance de la marque devenue trompeuse ou déceptive

La déchéance de la marque devenue trompeuse ou déceptive est fondée sur l’obligation de transparence à l’égard du consommateur, la marque étant tenue de demeurer un instrument loyal d’information. Depuis la réforme de 1991, et sous l’influence de la directive européenne du 21 décembre 1988, l'article L714-6 b) du Code de la propriété intellectuelle dispose: « encourt la déchéance de ses droits le propriétaire d’une marque devenue de son fait […] propre à induire en erreur, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou service ».


Ainsi, il convient de prononcer la déchéance d’une marque constituée de la combinaison d’un nom patronymique et d’un prénom, qui était devenue une référence pour le consommateur du fait de la notoriété du porteur du nom, dès lors que celui-ci, licencié par le titulaire de la marque, n’est plus en mesure d’exercer de contrôle sur la création artistique des produits diffusés sous son nom (CA Paris, 2004, Inès de la Fressange). Cependant, la Cour de cassation censure l'arrêt des juges du fond, malgré le licenciement de la créatrice qui a contribué à la création de la société: "Madame Inès de la Fressange, cédante, n'était pas recevable en une action tendant à l'éviction de l'acquéreur." (Cass, com, 31 janv. 2006, n°05-10.116). 

C’est dans une affaire semblable que Mme Elizabeth Emanuel, célèbre créatrice de mode anglaise à l’origine de la robe de mariée de Princesse Diana, déposait une demande en déchéance à l’encontre de la marque qu’elle avait cédée et s’est opposée à l’enregistrement d’une nouvelle marque sous son nom. Elle estimait en effet que le public était victime d’une confusion et d’une tromperie dans la mesure où elle n’était plus la créatrice des vêtements. Ces demandes sont cependant rejetées au motif que la tromperie et la confusion étaient le résultat inévitable de la cession de l’entreprise et de la clientèle attachée au nom patronymique (Hearing Officer, U.K, 17 oct. 2002).  Des questions préjudicielles portant sur les conditions requises pour qu’une marque soit refusée à l’enregistrement ou déchue pour déceptivité au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 89/104 sont alors adressées à la Cour de Justice de l'Union européenne. Plus spécifiquement se posait la question de la déceptivité dans le cas où la marque correspondait au nom du créateur premier des produits et que la clientèle attachée à cette marque avait été cédée avec l’entreprise (CJCE, 30 mars 2006, Affaire C-259/04, Elizabeth Florence Emanuel c. Continental Shelf 128 Ltd). 




La Cour considère en l’espèce que la marque ELIZABETH EMANUEL n’est pas à elle seule de nature à tromper le public sur la nature, la qualité où la provenance des vêtements en cause, même si le consommateur est conduit à croire que la créatrice de mode participe toujours à la conception des vêtements. En effet, la société titulaire de la marque reste garante de la qualité des produits. La CJCE tempère toutefois son propos en précisant qu’il appartient au juge national de vérifier qu’il n’existe pas une volonté de la part de l’entreprise titulaire de la marque ELIZABETH EMANUEL de faire croire au consommateur que la créatrice participe toujours à la conception des vêtements ce qui constituerait en somme une manœuvre dolosive. 


Outre la jurisprudence foisonnante en terme de nom patronymique, devient également déceptive du fait de son titulaire une marque dont les conditions de commercialisation ont évolué de sorte que les conditionnements du produit le rattachent faussement à un lieu géographique réputé, induisant ainsi en erreur la clientèle sur son origine (Rennes, 13 oct. 2015, Les Galettes de Belle Isle : PIBD 2016. III. 36). L’appréciation du caractère trompeur doit prendre place à la date de la demande en déchéance par référence à la perception que peut avoir du signe le consommateur d’attention moyenne concerné par les produits ou les services visés au dépôt. Il incombe au demandeur en déchéance de rapporter la preuve que le signe déposé est devenu propre à provoquer une tromperie effective du consommateur ou du moins un risque suffisamment grave pour que la déchéance des droits du titulaire puisse être prononcée.


A.S.R


Crédit: 1. Pinterest (https://pin.it/5geYX11); 2. Pinterest (https://pin.it/7HHpzJo); 3. The Wall Street Journal; 4.  Elizabeth Emanuel; 5.  Inès de la Fressange on the Chanel runway (Vogue Paris); 6. Elizabeth Emanuel's sketchs for Lady Diana's wedding dress

Commentaires

Vos articles préférés