Des Cheerleaders à la Cour Suprême : Quand la Mode a Enfin Obtenu sa Protection par le Copyright Américain

         

La théorie de « l'unité de l'art », conceptualisée en droit français par Eugène POUILLET fin XIXème siècle et expressément consacrée par la loi du 11 mars 1957, repose sur l’idée qu'il faut protéger les oeuvres indépendamment de leur destination. Et pour cause, la limite entre l’art utilitaire et l’art « pur » est difficile à tracer. De plus, la qualification d’oeuvre reviendrait à l’appréciation souveraine des tribunaux, ce qui pourrait ouvrir la porte à certaines dérives subjectives de la part des juges et laisser les auteurs à leur merci. Dès lors, le droit français a choisi d’embrasser tout l’art utilitaire dans le giron du droit d’auteur, sans distinction de genre, destination ou mérite. Par conséquent, une chaise est protégeable par le droit d'auteur au même titre qu’un tableau de Nicolas Poussin. Cette théorie a d'autant plus permis à la mode  dont la vertu utilitaire est indéniable   d'être pleinement protégeable par le droit d’auteur français.

Cela n’est pourtant pas la position adoptée outre-Atlantique. En effet, le Copyright Act américain de 1976 rend éligible au droit d’auteur les « éléments picturaux, graphiques ou sculpturaux » de la « conception d'un article utile » en tant qu'œuvres artistiques si ces éléments « peuvent être identifiés séparément et sont capables d'exister indépendamment de ses aspects utilitaires. » (17 U. S. C. §101) En d’autres termes, aux États-Unis, le droit d’auteur est exclu pour l’art utilitaire et ipso facto pour la mode (qui se trouve protégée en revanche par le Patent).

Nonobstant cette approche on ne peut plus défavorable aux créateurs de mode, la position française a elle aussi pu susciter de vives débats. Pour certains, l’entrée de la « petite monnaie du droit d’auteur », pour reprendre l’expression de nos voisins Allemands (Die kleine Münze des Urheberrechts), dans le cercle prisé des oeuvres de l’esprit, ferait perdre à la matière de sa superbe en octroyant protection à des objets de la vie de tous les jours, sans grande vertu artistique, tels que des boulons, des paniers à salade ou encore des couches-culotte. Si la théorie de l’unité de l’art a pu contribuer à la mauvaise image du public sur le droit d’auteur en ouvrant la porte à ces objets et à des entreprises industrielles davantage soucieuses de leurs investissements, le professeur AZZI ne prône pas pour autant la suppression de la théorie mais suggère que les juges resserrent le contrôle du critère de l’originalité, critère universel qui a constitué un « gouffre » désormais exploitable par une nouvelle version des
Arts.

Indifférent à ces crispations doctrinales françaises, le droit américain s’est récemment aligné sur le droit français du moins pour la mode, jusqu’ici considérée comme art utilitaire et donc non protégeable au titre du Copyright Act. En effet, en 2017, dans une affaire relative à la protection des tenues de cheerleaders opposant Star Athletica à Varsity Brands, la Cour Suprême des États-Unis d’Amérique rend un arrêt historique.

En l’espèce, il était question de la protection par le droit d’auteur des dessins qui ornent les uniformes de cheerleaders ou pom-pom girls et plus exactement à la notion de “dissociabilité”, l’une des conditions préalables de protection par le Copyright Act. 

                                

La Cour Suprême juge que seuls les éléments d’un dessin ou modèle pouvant être dissociés d’un vêtement pouvait bénéficier d’une protection. Pour ce faire, la Cour vient clarifier le « separatibility test » en statuant que les dessins d’un uniforme de cheerleader sont séparables de la fonction de l’uniforme et sont par conséquent protégés par le copyright. Selon l'arrêt, le « test » comporte cinq étapes:

 Tout d’abord les juges doivent déterminer si le design entre dans la catégorie PGS (« pictorial, graphic, or sculptural »)
★ Ils doivent par ailleurs être certains que l’objet est « utilitaire »  (« useful »)
 Ensuite, il convient de cerner les « aspects utilitaires » permis en vertu du Copyright Act
En quatrième lieu, les juges doivent s’assurer que les caractéristiques utilitaristes et  les caractéristiques picturales graphiques ou sculpturales (PGS) sont identifiables séparément
★ Et enfin, vérifier que les aspects utilitaristes et PGS peuvent exister indépendamment les uns des autres.

L'enquête finale est guidée par les approches « objectivement nécessaires » et les « processus de conception » adoptées par d'autres tribunaux (Harvard Law Review).

Dans une interview pour le Magazine de l’OMPI en 2018, Julie Zerbo, rédactrice-en-chef de The Fashion Law à New-York, estime que cet arrêt pourrait avoir une incidence majeure sur l’industrie de la mode américaine (OMPI Magazine, J. ZAROCOSTAS & J. ZERBO, « Le rôle des droits de propriété intellectuelle dans l’industrie de la mode : le point de vue des États-Unis d’Amérique », Août 2018). Toutefois, l'apport de cette décision est à tempérer: les créations de designers américains continuent d’être que partiellement protégées puisque seuls certains éléments sont éligibles au copyright et non l’ensemble. Si la décision fut légitimement bien reçues par les designers de mode qui y ont vu une extension de leur protection, d'autres ont pointé son ambiguïté dans la manière de faire appliquer les nouvelles règles ainsi que la menace portée aux tendances du « generic clothing ». 

En tout état de cause, le droit américain s’est rapproché de la conception française bien qu’il reste très loin de notre théorie de l’unité de l’art. Mais quand bien même ! Un petit pas pour le droit, un grand pas pour les designers.


                                                

             A.S.R


Crédits: 1. Pinterest (https://pin.it/5sPeNoV);
Crédits 2. Appendix to Opinion of the Supreme Court in STAR ATHLETICA, L.L.C. v. VARSITY BRANDS, INC (March 22nd 2017);
Crédit 3. Pinterest (https://pin.it/6qSf6vs) 

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