Banksy - Love is (not) in the air avec l'EUIPO (Décision du 14/09/2020)

Peut-on déposer une marque pour protéger une oeuvre d’art? Dans une décision du 14 septembre 2020, l’Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) répond par la négative en annulant une des marques de Banksy. En effet, suite à une tentative par l’artiste d’un détournement du droit des marques lié à des questions de droit d’auteur, sa mauvaise foi est décelée. 

Les faits

En 2014, la société en charge de la gestion des intérêts de Banksy déposait à titre de marque européenne figurative sa célèbre œuvre « le lanceur de fleurs » (Flower Thrower ou Love is in the air) peinte en 2005. L’artiste décide d’attaquer une société de papeterie Full Colour Black pour l’utilisation de son œuvre à des fins commerciales sans son autorisation. En réplique, l’entreprise forme une demande en nullité de ladite marque. Elle fait valoir notamment que le dépôt de cette marque est entaché de mauvaise foi de la part de l’artiste qui n’avait aucune intention de l’utiliser à titre de marque. Partant, elle soutient que l’enregistrement du signe avait pour seul but de pallier l’impossibilité pour Banksy de revendiquer un droit d’auteur du fait de son anonymat. L’EUIPO donne gain de cause à la demande reconventionnelle de la société Full Colour Black.

La décision

La division d’annulation de l’Office relève que l’anonymat de Banksy ne permet pas de l’identifier formellement comme titulaire incontestable des dessins, d’autant plus que la marque est déposée par une société représentant ses intérêts.

L’Office fonde donc sa décision sur la mauvaise foi au moment du dépôt de marque, au sens de l’article 59 du Réglement européen 2017/1001. Sans avancer aucune définition de la mauvaise foi, l’EUIPO énonce que celle-ci est constituée dès lors que le comportement d’un titulaire de marque s’écarte d’un comportement éthique ou des usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale, suivant une appréciation casuistique. Selon le Doyen Carbonnier, rechercher la mauvaise foi qui fonde un acte juridique revient à « sonder l’état de conscience de l’individu lorsqu’il se livre à un acte qui en apparence est légal, mais qui en réalité spolie les tiers ». En somme, il s’agir de pénétrer dans l’intention subjective du déposant.

En l’occurence, Banksy déposait le Flower Thrower à titre de marque pour pallier la protection par le droit d’auteur dont il était privé. En effet, l’anonymat choisi par Banksy l’empêche de pouvoir protéger ses œuvres par le droit d’auteur. 
L’anonymat n’empêche pas vraiment de démontrer l’originalité de l’œuvre. Le problème se situe plutôt sur le terrain de la titularité du droit d'auteur et surtout dans l’exercice des droits, puisque selon l'adage « Nul ne plaide par procureur », c'est à l'auteur d'exercer l’action en justice pour défendre son oeuvre et non un intermédiaire. 


Par ailleurs, Banksy n’avait jamais exploité le signe à titre de marque avant le litige, une commercialisation de produits ayant été entreprise seulement après la demande de nullité de la société défenderesse. En effet, le lancement d’une boutique “Produit intérieur brut” par l’artiste, postérieur à l’action en annulation, a contribué à caractériser la mauvaise foi: cette commercialisation était donc « incompatible avec les pratiques honnêtes ».

En définitive, le titulaire de la marque n’a jamais eu l’intention de l’utiliser conformément à sa fonction commerciale pour désigner des produits ou des services. L’EUIPO souligne que « son intention était d’obtenir, sans même viser un tiers particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque »

« Copyright is for losers »


L’Office s’est sans doute offusqué des nombreuses déclarations de l’artiste témoignant de son mépris à l’égard des droits de propriété intellectuelle. À cet égard, on se souvient de son fameux graffiti « Copyright is for losers ». L’EUIPO relève toutefois que son aversion pour les droits de propriété intellectuelle n'annule en rien les droit valablement acquis
« He has also chosen to be very vocal regarding his disdain for intellectual property rights, although clearly his aversion for intellectual property rights does not annul any validly acquired rights to copyright or trademarks ».




D’autres illustrations de "contournement" du Droit des marques

La propriété intellectuelle se divise en deux branches: la propriété littéraire et artistique 
(droit d’auteur, droits voisins), d'une part, et la propriété industrielle (droit des marques et autres signes distinctifs), d'autre part. 

Certaines règles de l’une des deux branches de la propriété intellectuelle peuvent parfois être plus restrictives, invitant donc les auteurs ou inventeurs à contourner ces règles en bénéficiant des dispositions de l’autre branche qui leur sont plus heureuses. Par exemple, le droit d’auteur, s'il est relativement long puisqu’il s’éteint 70 ans post-mortem auctoris, n’est pas éternel. Le droit sur la marque quant à lui, est d’une certaine manière perpétuel puisqu’il est éternellement renouvelable tous les 10 ans. Pour éviter la temporalité propre à la propriété littéraire et artistique et la cessation des redevances post-mortem auctoris, certains auteurs se sont rabattus sur la propriété industrielle en déposant leurs oeuvres à titre de marque et ainsi bénéficier de son favorable délai de prescription. 

Pour ce faire, les oeuvres sont surexploitées afin qu’elles soient perçues par le public comme des signes distinctifs. C’est le cas de Walt Disney qui négocie depuis des années le prolongement du copyright de son personnage emblématique Mickey, lui rapportant 5,8 milliards dollars par an, lequel devrait sans nouvelle décision du Congrès américain tomber dans le domaine public en 2023. Il en est de même pour la Succession Picasso, soucieuse de lutter contre le parasitisme des contrefacteurs, qui s’emploie autant que possible à obtenir des droits de marque et à mettre fin à toute utilisation non autorisée du nom de l’artiste.

Il s’agit néanmoins d’un combat difficile, notamment du fait que dans plusieurs juridictions, il est impossible de faire opposition à l’enregistrement d’une marque si l’on n’était pas préalablement propriétaire d’une marque dans la classe de produits pour laquelle elle est en cours d’enregistrement (Magazine de l’OMPI, « Les maîtres modernes en danger », Août 2011). Par ailleurs, une marque doit être utilisée dans la vie des affaires pour désigner des produits et/ou services faute de quoi elle risque d’être annulée, de sorte que l’enregistrement d’une marque ne peut être utilisé pour substituer un autre titre de propriété intellectuelle.

Le relais par la marque ne permet donc pas d’obtenir une protection équivalente au droit d’auteur, puisque comme l'illustre la présente affaire, la marque risque l'annulation.



Les conséquences de la décision du 14 septembre 2020


Cette annulation est lourde de conséquences puisque les autres marques de l’Union européenne représentant des graffitis de Banksy risquant désormais l’annulation. « En réalité, toutes les marques de Bansky sont en danger » déclarait Aaron Mills sur le site World Trademark Review, notamment l’œuvre emblématique Girl with ballon déposée dans les registres en 2014.

Cette solution semble ainsi remettre en cause toute la stratégie de protection de l’artiste. Reste à savoir si elle suffira à le convaincre de sortir de l'anonymat afin de pouvoir bénéficier de recours effectifs contre ses contrefacteurs. Si cela n'est pas certain, la présente décision l'obligera tout du moins à adopter une position cohérente entre la renonciation à se prévaloir de droits de propriété intellectuelle et la volonté de contrôler l’exploitation de son œuvre.


A.S.R



Crédit: 1. Bansky, The Flower Thrower; 2. Bansky, Copyright is for losers

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