Cession de "Vendôme" à LVMH : les problématiques au regard du droit des marques




Force est d’admettre que LVMH excelle face à la crise sanitaire. Au début de la pandémie, le leader mondial du luxe se mobilisait par la fabrication de gels hydroalcooliques sur ses sites de production de parfums et cosmétiques afin de les livrer aux hôpitaux. Depuis hier, sa valorisation boursière a atteint la modique somme de 271.6 milliards d'euros, un record faisant de la société la première capitalisation d'Europe. Dans un entretien sur BFM Business, le PDG du groupe, Bernard ARNAULT, estimait même sortir "renforcé" de la crise du Covid-19.

Le 4 février dernier, la ville du Loir-et-Cher acceptait de céder son nom au géant du luxe afin qu'il puisse utiliser le terme "Vendôme" pour de la joaillerie. La contrepartie? La somme de 10 000 euros ainsi que la créations d’emplois pour veiller au rayonnement de la région.


Quelles sont les problématiques que soulève cette cession au regard du droit des marques? 


Tout d’abord, on peut se demander si la mairie de Vendôme a réellement une marque à vendre ou s’il est question d’une cession d’un droit d’exploitation. Mais surtout, se pose la question de la validité de la marque « Vendôme » pour désigner de la joaillerie.

Les critères de validité d’une marque sont, rappelons-le, la disponibilité, la licéité et la distinctivité. C’est bien ce dernier critère qui pourrait faire défaut en l’espèce. En effet, la distinctivité peut se définir extrinsèquement par «  ce qui n’est pas usuel ou descriptif ». La jurisprudence se montre cependant très casuistique dans ses décisions qui oscillent entre l’interdiction des signes purement descriptifs et l’admission des signes simplement « évocateurs ».

La dénomination Vendôme fait évidemment écho à la célèbre place parisienne où jonchent les luxueux magasins des plus grands joaillers du monde: Cartier, Chopard, Chaumet, Chanel, Dior, Van Cleef & Arpels, BVlgari, Boucheron… On pourrait se demander — dans l'hypothèse où la validité de la marque venait à être contestée en justice — si les juges estimeraient que la dénomination est descriptive d’un lieu emblématique de la capitale ou s’il en est simplement évocateur.

S’il est tout à fait possible de déposer le nom d’un lieu à titre de marque, celui-ci ne doit pas être descriptif comme pourrait l’être le nom du lieu où s’exerce purement et simplement l’activité, cela privant, d’autant plus, les autres concurrents de l’utiliser. Ainsi, un commerçant de galettes au Mont St Michel ne pourrait pas déposer la marque « Galettes du Mont St-Michel ». De même, il n’est pas possible de déposer un mot qui induirait en erreur sur la provenance ou la qualité du produit. Par exemple, il ne peut pas être utilisé le mot « Suisse » pour des montres qui ne seraient pas fabriquées en Suisse, ni utiliser une AOC géographique sans en faire parti (le terme champagne ne peut être utilisé s’il s’agit d’un mousseux).

La jurisprudence se montre sévère sur ce point puisqu’elle a pu considéré que l’emploi du mot « Champagne » pour désigner des parfums pouvait être, d’une certaine manière, parasitaire (CA Paris, 15 déc. 1993, INAO c. YSL). En effet, dans cette affaire, la marque Yves-St-Laurent avait sorti un parfum dénommé "Champagne" dont la forme du flacon et de son bouchon évoquait celle d'une bouteille de champagne. La Cour d'appel de Paris donne gain de cause à l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) en reconnaissant l'usurpation de l'appellation d'origine "Champagne". Par une présentation rappelant le bouchon caractéristique des bouteilles de champagne et en utilisant à des fins promotionnelles l'image de joie et de fête que le champagne évoque, YSL a voulu s'accaparer l'attractivité de la région champenoise et a cherché à détourner sa notoriété dont seuls les commerçants de vins de Champagne ont droit. En 2001, la Cour d'appel de Paris rappelait clairement le principe : "Le statut des appellations d'origines contrôlés est d'ordre public ce qui interdit toute appropriation privative de leur nom" (CA Paris, 12 sept. 2001, Comité interprofessionnel du Champagne c. Société Parfums CARON qui avait commercialisé des savons et des produits cosmétiques sous le nom "Bain de Champagne"). 
On le voit, d'une façon générale, la marque peut "tomber" face à une appellation d'origine, ce qui montre la primauté de la seconde sur la première.


Au contraire, si l’association du produit et du nom de lieu utilisé est purement fantaisiste (comme la dénomination Mont-Blanc pour désigner des stylos ou des yaourts), alors le signe pourra prétendre au bénéfice de la protection. Le mot "Vendôme" pour désigner des pièces de joaillerie n’est donc pas des plus original. Si certaines des marques renommées que l’on trouve Place Vendôme appartiennent au groupe LVMH (Dior, Chaumet, Bulgari), la question de la légitimité de priver les autres concurrents du nom de la place du 1er arrondissement où ils sont eux même implantés surgit alors.

Par ailleurs, la marque Vendôme pour désigner de la joaillerie remplit-elle la fonction principale de la marque qui est la fonction d’identité d’origine, à savoir la possibilité pour le consommateur de rattacher le signe à une marque déterminée? C’est en effet l'objet de la définition de la distinctivité 
— intrinsèque, cette fois  adoptée par la jurisprudence française sous l’impulsion du droit communautaire. Il est vrai qu’avec des images de marques aussi impactantes et travaillées que celles des marques du groupe LVMH, on peut imaginer que celui-ci fera tout pour que la dénomination Vendôme soit associée, dans l’esprit du public visé, à ses marques. Quoique l'on en dise, le doute plane quant à la validité d’un tel dépôt. Selon les dires du maire de la ville du Loir-et-Cher, il n’est pas question que le groupe LVMH "s’approprie le nom de la ville dans sa globalité", mais bien "pour ses seules créations de bijoux", ce qui n’est pour rendre moins illégitime un droit exclusif sur un mot aussi allusif que VENDÔME…



A.S.R









Crédits: 1. Pinterest (https://pin.it/1VA4g5R) ; 2. Statista



Commentaires

  1. y avait t'il un vrai risque de confusion entre la ville de Vendôme et le symbole de la place de Vendôme ? n'est ce pas un coup de pub ?

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    1. C'est un point très intéressant. Il est vrai que Vendôme est dans l'industrie du luxe bien plus associé à la place parisienne qu'au département de Loir-et-Cher ! C'est à se demander si la mairie du 1er arrondissement n'aurait pas eu également son mot à dire sur la cession.

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