Le commerce d'influence sur Instagram

 


« Influencer, c’est changer le destin » écrivait François-Bernard HUYGUE. En astrologie, le concept est lié à la croyance en l’influence des astres: l’influx, liquide invisible, étant censé s’écouler des planètes pour changer notre destinée.

Selon ce même auteur, l’influence est à la fois une faculté psychologique (être capable de séduire, de provoquer le mimétisme ou la complicité); une catégorie sociologique (l’influence des médias, des intellectuels) et enfin une forme politique (sous influence, les hommes agissent de la manière souhaitée par un personnage dominant).


La notion d'influence regorge de connotations péjoratives. Alain JUILLET et Bruno RACOUCHO parlent d’un « double obstacle d’ordre sémantique »: d'une part, le droit français utilise ce mot en l’associant au « trafic d’influence » et à toutes sortes d’activités illégales; d’autre part, l’héritage de la Guerre froide a pu l’associer à des synonymes tels que désinformation, manipulation ou propagande… L’acception anglo-saxonne du terme renvoie également à des actions négatives, qui visent à faire prendre à l’adversaire des décisions non-conformes à ses intérêts.

Toutefois, pour Éric DELBECQUE, l’influence est devenue « la pointe de diamant de l'intelligence économique ».
Cette affirmation est d’autant plus vraie à l’ère de la monétisation de l’influence sur les réseaux sociaux et en particulier sur Instagram, comptant plus d’un milliard d’utilisateurs actifs. Ainsi, Cristiano RONALDO touchait la modique somme de 47 millions d’euros en 2019 pour avoir publié une quarantaine de posts sponsorisés sur sa page Instagram.

Il est vrai que l'essor des réseaux sociaux a conduit au développement d'un nouveau type de contenu, créé et diffusé par ceux qu'il est commun d'appeler des « influenceurs ». Puisqu'aucune définition de ce terme ne figure au sein des dictionnaires, il a été proposé de retenir sous cette dénomination la « personne physique, leader d'opinion, qui dispose d'un fort pouvoir de suggestion sur les consommateurs ».
L'influenceur a aussi été défini comme « un utilisateur d'un ou de réseaux sociaux dont la communauté est suffisamment importante et engagée pour provoquer, lors d'une opération de communication avec lui, un impact bénéfique sur l'organisation l'ayant sollicité » et qui est ainsi « en mesure de communiquer et de créer le contenu suscitant chez son audience l'envie de vivre la même expérience.» Ce qui caractérise l'influenceur est sa volonté d'inciter son auditoire à la consommation d'un produit ou d'un service. Il ne prend pas « l'engagement d'influencer son public au profit de l'entreprise donneuse d'ordres » et se contente de produire « un contenu dans lequel il promeut un produit ou un service ». Ce sont sa personnalité et sa notoriété qui le rendent crédible dans un domaine particulier. En définitive, l'influenceur est une personne physique usant de sa notoriété et de sa personnalité pour présenter des produits, en vanter les mérites et inciter à leur achat par le biais de publications fréquentes sur ses réseaux sociaux.

D’après une enquête des Echos, 56 % des consommateurs français reçoivent des notifications promotionnelles sur leur mobile. Parmi eux, plus de la moitié y accorde de l’attention.
Une autre enquête de Co-Marketing News révèle que 75% des internautes français ont déjà effectué un achat après la publication d’un influenceur.

Plusieurs problèmes juridiques se posent touchant de près ou de loin au droit des médias — ou plus exactement à la déontologie des médias et de la publicité — notamment quant à la qualification du contrat les liant à l’entreprise, la régulation des pratiques commerciales trompeuses, la légalité des achats de likes ou de followers, etc. Il conviendra de se demander comment le droit français fait face à ce phénomène digital nouveau. Car si ce nouveau type de marketing commence à être encadré par un arsenal juridique fleurissant (I), certaines dérives subsistent, la génération Instagram se trouvant parfois piégée par ses propres outils (II).

I) L’encadrement légal de la monétisation de l’influence sur Instagram 

Le marketing d’influence relevait jusqu’ici de la seule déontologie publicitaire, la loi étant lacunaire à cet égard (A), jusqu’à ce que la loi n° 2020-1266 du 19 octobre dernier se saisisse de la question, du moins pour les enfants influenceurs de moins de 16 ans afin d’instituer un cadre légal visant à la prévalence de leurs intérêts (B).

A. Les lacunes initiales de la loi face à un phénomène digital nouveau

1. L’ambivalence du statut d'influenceur et de la qualification de son contrat

Le développement de la communication digitale a conduit les annonceurs à développer des relations avec certains internautes producteurs de contenus oscillant entre journalistes, blogueurs, vlogueurs ou simples personnalités influentes. Ces relations, à l’origine informelles, étaient basées bien souvent sur un échange produit/service contre contenu.

Se pose alors la question de savoir si le contenu relève de la liberté d’expression, revêt un caractère commercial et dans certains cas, publicitaire. Dans ce dernier cas, le contenu sera soumis à des règles visant à protéger le consommateur à travers les exigences d’identification du caractère publicitaire et de transparence sur le rôle d’impulsion jouée par la marque.


L’influenceur produit un contenu plus ou moins contrôlé par la marque — parfois pas — en contrepartie d’une rémunération en espèces ou en nature. Concernant le contenu, il s’agit la plupart du temps de prises de vues organisées par la marque ou par l’influenceur, et comporte bien souvent un contenu éditorial, même minime.

Au fil du temps, les relations entre les marques et les influenceurs se sont formalisées sous la forme de contrats. Ces derniers, très variés, sont encore peu standardisés de sorte que sous une même appellation se rangent des situations contractuelles très différentes.

La plupart d’entre eux prévoient une rémunération, ce qui pose évidemment la question du statut de ces rémunérations au regard du droit de la sécurité sociale et du droit fiscal, et plus généralement, du statut des influenceurs (travailleurs indépendants, auto-entrepreneurs, sociétés commerciales, salariés…) avec le risque du travail dissimulé et de redressement de cotisation par l’URSSAF que comporte l’absence de statut.


Ainsi, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) a éclairci la question en distinguant trois types de contrats
:

(1) Le contrat d’influenceur défini comme le contrat dans duquel le cadre un individu va exprimer un point de vue ou donner des conseils, dans un domaine spécifique et selon un style ou traitement qui lui sont propres et que son audience identifie. L’ARPP précise que l’influenceur peut agir dans le cadre purement éditorial ou en collaboration avec une marque pour la publication de contenus (placement de produits, participation à la production d’un contenu, diffusion d’un contenu publicitaire, etc);

(2) Le contrat de blogueur publicitaire défini par l’ARPP comme un contrat visant à promouvoir un produit ou un service d’une marque s'inscrivant dans le contexte de communication de l’entreprise. La relation est alors plus contraignante et l’annonceur a une véritable prise sur le contenu qui sera diffusé par l'influenceur. Elle doit alors non seulement faire l'objet d'une indication mais également respecter les règles déontologiques et selon le contenu, les règles du droit positif concernant la publicité;

(3) Enfin, le contrat de billet sponsorisé qui a pour objet la production pour un internaute d’un billet publié pour le compte de l’annonceur contre rémunération.


2. Les recommandations de l’ARPP relatives à la publicité digitale

L’ARPP a publié sur ce thème une grille de lecture au sein de sa « Recommandation Communication publicitaire digitale » afin de rappeler aux annonceurs, agences, médias et influenceurs l'obligation faite également d'un point de vue déontologique d'identifier les communications commerciales.

Qu'il s’agisse d’une simple collaboration commerciale ou d'une publicité, il est requis d’adjoindre une indication explicite permettant d’identifier le caractère commercial du contenu de manière à ce que celui-ci apparaisse instantanément à moins que celui-ci ne soit manifeste.
Cette information peut se faire par tout moyen dès lors qu'elle est portée à la connaissance du public.

Outre l’identification du caractère commercial, l’ARPP livre des recommandations relatives à la protection des enfants et des adolescents, le respect de l’image de la personne humaine et le respect d'une publicité loyale, véridique et honnête.


3. Le recours aux dispositions législatives existantes : les pratiques commerciales trompeuses du Code de la Consommation

Aux termes de l’article L121-3 du Code de la consommation, une pratique commerciale est trompeuse si  « compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l'entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu'elle n'indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte. »

L'article précise que sont considérées comme substantielles dans toute communication commerciale constituant une invitation à l’achat: les caractéristiques principales du bien ou du service ; l'adresse et l'identité du professionnel ; le prix et les frais de livraison à la charge du consommateur, ou leur mode de calcul s'ils ne peuvent être établis à l'avance ; les modalités de paiement, de livraison, d'exécution et de traitement des réclamations des consommateurs ; et enfin, l'existence d'un droit de rétractation, si ce dernier est prévu par la loi.

Enfin, dans son troisième alinéa, l'article dispose: « lorsque le moyen de communication utilisé impose des limites d'espace ou de temps, il y a lieu, pour apprécier si des informations substantielles ont été omises, de tenir compte de ces limites ainsi que de toute mesure prise par le professionnel pour mettre ces informations à la disposition du consommateur par d'autres moyens ». Ainsi, l’influenceur limité en temps par la fonctionnalité des « stories », peut par exemple renvoyer ses abonnés aux liens des sites où ces derniers seront en mesure de trouver toutes ces informations substantielles afin d’acheter les produits objet de la publicité digitale en toute connaissance de cause.

Quant à l’article L121-4, il dispose en son onzième point que « sont réputées trompeuses, au sens des articles L. 121-2 et L. 121-3, les pratiques commerciales qui ont pour objet (…) d’utiliser un contenu rédactionnel dans les médias pour faire la promotion d'un produit ou d'un service alors que le professionnel a financé celle-ci lui-même, sans l'indiquer clairement dans le contenu ou à l'aide d'images ou de sons clairement identifiables par le consommateur ». Le fondement n’est autre ici qu’une garantie au consommateur de la loyauté, la véracité et l’honnêteté de la publicité, les valeurs que prône en somme l’ARPP.



B. L’émergence progressive de nouvelles lois: LOI n°2020-1266 du 19 octobre 2020 visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne



Le marketing d’influence relevait jusqu’ici de la seule déontologie publicitaire et plus précisément des recommandations de l’ARPP sur la publicité en ligne précitées. Cependant, la loi n°2020-1266 du 19 octobre dernier s’est saisie de la question, du moins pour les mineurs de moins de 16 ans dont l'image est diffusée sur les plateformes de vidéos en ligne. Si l’objectif est de répondre au phénomène croissant des enfants « youtubeurs », cela concerne également les enfants « instagrammeurs » avec toujours la même idée: celle d’un cadre légal faisant prévaloir l’intérêt de l’enfant.

Le 25 juillet 2018, le Défenseur des enfants saisissait déjà l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique en vue de dénoncer cette pratique jugée illicite et dangereuse pour les enfants.
En effet, l’exposition médiatique dont bénéficient ces enfants peut ne pas être sans conséquence sur leur santé psychique, note la sociologue  Claire BALLEYS, spécialiste des processus de socialisation de la communication et des médias. À ce titre le rapporteur Bruno STUDER, député du Bas-Rhin, soulignait, dans le rapport déposé le 5 février 2020 à l’Assemblée nationale, les risques de cyber-harcèlement, voire de pédopornographie. De plus, les parents on tendance à tirer profit de la visibilité de leurs enfants mineurs sur les plateformes telles que YouTube ou Instagram. Toujours selon le député, si ce phénomène est difficile à quantifier, cela concernerait « plusieurs dizaines de cas » et des revenus, jusqu’à 150 000 euros par mois, « qui permettent à certains parents » de cesser « toute activité ».

La loi vient donc modifier plusieurs dispositions du Code du travail (les articles L. 7124-1, L. 7124-4, L. 7124-5 et L. 7124-9) et vient insérer un nouvel article L. 7124-4-1. Elle insère aussi un article 6-2 à la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN). La loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est également modifiée par l’insertion d’un article 15-1. Les mesures apportées par la loi du 19 octobre 2020 seront applicables dans les six mois de la publication du texte à savoir en avril 2021.

Concrètement, la loi distingue deux situations: d’une part, lorsque l'activité des enfants est considérée comme un travail c’est-à-dire lorsque peuvent être décelés un lien de subordination, une prestation et une rémunération; d’autre part, lorsque l'activité ne relève pas d'une relation de travail.

Dans le premier cas, les enfants influenceurs bénéficieront désormais des règles protectrices du Code du travail, et notamment des règles protectrices applicables aux enfants mannequins, du spectacle et de la publicité. En effet, certains enfants publient, seuls ou par l'intermédiaire de leurs parents, plusieurs vidéos par semaine, ce qui suppose d'y consacrer un temps important, notamment en raison des prises de vues susceptibles d'être refaites. Or, contrairement aux enfants du spectacle, leurs heures de tournage et la durée de ceux-ci n’étaient pas encadrées par le droit du travail
. Par conséquent, en amont, c’est-à-dire avant de faire tourner leurs enfants ou de diffuser leurs vidéos, les parents devront désormais demander une autorisation individuelle ou un agrément auprès de l'administration. En aval, ils devront placer une partie des revenus perçus par leur enfant, appelée le « pécule », à la Caisse des dépôts et consignations jusqu'à leur majorité ou leur émancipation, au même titre que les parents d’enfants du spectacle. Des sanctions seront prévues pour les parents qui garderaient l'argent à leur profit. En plus de l’information qui leur sera donnée à propos des droits de l'enfant et à l'égard de leurs obligations financières, ils seront sensibilisés sur les conséquences de l’exposition de l’image d’un enfant sur internet.

Dans le second cas, une protection est tout de même prévue. En effet, conformément à l’article 3 de la loi, au-delà de certains seuils de durée, de nombre de vidéos ou de revenus, une déclaration sur le modèle de celle visée par l'article L. 7124-1 du Code du travail doit être faite, en l'absence de laquelle l'administration pourra saisir le juge des référés aux fins de prendre toute mesure propre à prévenir un dommage imminent ou à faire cesser un trouble manifestement illicite (article 6-2 LCEN).

Les parents ne seront pas les seuls à être responsabilisés puisqu’aux termes des articles 2 et 4 de la nouvelle loi, les plateformes aussi le seront à travers l’adoption de chartes sous l’impulsion du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Ces chartes ont pour objet encore une fois de favoriser l'information et la sensibilisation des mineurs sur les conséquences de la diffusion de leur image ou de leur vie privée ainsi qu’une sensibilisation, en diapason les associations de protection de l’enfance, en termes de risques psychologiques et juridiques. Ces chartes doivent, par ailleurs, favoriser le signalement, par leurs utilisateurs, de contenus audiovisuels mettant en scène des enfants de moins de seize ans qui porteraient atteinte à la dignité ou à l'intégrité morale ou physique de ceux-ci.

Enfin, l’article 6 de la loi ouvre explicitement aux mineurs le droit à l’oubli ou droit au déréférencement — expression plus heureuse selon le Professeur DERIEUX — prévu par la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978. Sur demande directe des enfants, les plateformes de vidéos seront obligées de retirer leurs vidéos sans que le consentement des parents soit requis. Les plateformes devront expliciter et faciliter dans les chartes précitées l’exercice de ce droit.

Selon Marion ROUSSEAUX, la véritable avancée dans la protection des droits des enfants influenceurs que devait impulser cette loi apparaît en demi-teinte : s'il est indéniable qu'elle accroît la protection des mineurs influenceurs indépendants, cette loi est perfectible en ce qu'elle ne protège pas les enfants influenceurs par ricochet.
En effet, parmi les influenceurs adultes, nombreux sont ceux qui partagent l'écran avec leurs enfants — parfois même des nouveaux-nés —, qu'ils filment « à différents moments de leur vie, lors de leurs loisirs, mais aussi mis en situation de déballer des produits pour les tester, voire les savourer, de lancer des défis, de participer à des tutoriels ». Dans cette situation, l’enfant est un figurant récurrent dans les publications de ses parents et est incité par eux, voire contraint, à participer à la promotion de produits ou expériences. Bien que l’objectif de cette initiative législative est louable, telle est la critique qui pourrait finalement lui être apportée.



II) Les dérives subsistantes ou la manifestation d’une régulation défaillante de la pratique


Certaines pratiques témoignent de la défaillance de la régulation du marketing d’influence, le réseau social Instagram s’étant converti en un foyer à escroquerie (A), et la naissance de nouveaux marchés en atteste, certaines sociétés voulant tirer profit du phénomène par la commercialisation de likes ou de followers (B).

A. Le fléau des escroqueries en ligne à travers le compte Instagram de personnalités influentes

1. Étude de cas: le Fyre Festival où la fraude basée sur un post relayé

Le commerce d’influence sur Instagram peut parfois faire l’objet de schémas frauduleux, et la campagne du Fyre Festival, reposant intégralement sur l’influence et les réseaux sociaux, en est une illustration.

En l’espèce, le festival de musique imaginé par l’entrepreneur Billy McFarland avec l’aide du rappeur Ja Rule promettait une version VIP de Coachella Festival dans une île paradisiaque des Bahamas en compagnie des mannequins les plus en vogue des réseaux sociaux parmi lesquelles Bella Hadid, Emily Ratajkowski ou encore Kendall Jenner. Cependant, l’évènement qui devait prendre place durant deux week-ends consécutifs en avril et mai 2017 et pour lesquels des festivaliers ont payé leurs tickets entre 1500 et 250 000 dollars, était fini avant même qu’il n’ait commencé.


INSTAGRAM




Selon les dires du juge ayant condamné McFarland à six années d’incarcération dans une prison de l’État de New York pour pratiques frauduleuses, il ne s’agissait pas d’une simple bonne idée ayant mal tournée, la mauvaise foi de l’organisateur ayant été décelée du début à la fin.

Tout a commencé fin 2015 lorsque les co-organisateurs ont commencé à utiliser l’influence de célébrités sur Instagram pour promouvoir l’événement et attirer autant d’investisseurs que de riches followers afin qu’ils participent. Le 12 décembre 2016, une soixantaine d’influenceurs postent simultanément la même publication, un carré orange accompagné du hashtag #FyreFest. Kendall Jenner aura avoué avoir été payée 250 000 dollars pour publier une photo promouvant l’événement.





Par ailleurs, le festival présentait la participation d’artistes populaires tels quel Blink-182, Migos, Lil Yachty et Major Lazer, sur l’île d’Exuma ayant soi-disant appartenu à Pablo Escobar. Les festivaliers devaient s’y rendre par jet privé, et ceux qui avaient le plus déboursé bénéficieraient d’une luxueuse villa ainsi que des repas cuisinés par des chefs étoilés…; tout cela manifestant la tendance qu’ont les organisateurs et entrepreneurs à privilégier la communication à la création d’une solution viable et utile.

Finalement, le Fyre Festival aura réussi à attirer 5000 personnes avec deux photos et une vidéo. Toutefois, ce plan de communication savamment dosé ne résistera pas à la réalité : le Jour J, lorsque les hordes de festivaliers découvrent l’étendue du mensonge: rien n’est prêt ou conforme à ce qui leur a été vendu. Le festival entre millennials fortunés vire au cauchemar : site en construction, bagages égarés puis distribués en pleine nuit, nuée de tentes FEMA (Federal Emergency Management Agency) réparties sur un terrain vague, bagarres pour se nourrir, absence d’eau potable et impossibilité de prendre un vol retour.


REALITY




Ironie du sort:  ce qui aura contribué au succès foudroyant du festival sera également à l’origine de leur chute, puisque les publications montrant l’escroquerie ont submergé les réseaux sociaux, que ce soit sur Instagram ou Twitter. Les festivaliers évoquent un « camp de réfugiés » et parlent de « conditions digne de Hunger Games ». À quelques semaines de l’échéance, le compte @Fyrefraud tentait d’alerter le public sur la catastrophe annoncée, mais sans trouver de véritable écho. Pire, l’organisation du festival supprime les commentaires critiques et bloque la fonctionnalité sur Instagram.

Devant le juge, McFarland rétorqua qu’il avait planifié d’organiser un réel festival mais qu’il avait, de manière grossière, sous-estimé les ressources nécessaires pour l’organisation d’un événement d’une telle magnitude. Il confessa à la Cour que dans une tentative d’élever les fonds dont il aurait besoin, il aurait menti aux investisseurs sur divers aspects du Fyre Festival en alléguant notamment des informations erronées sur sa solvabilité à l’appui de faux documents. La fraude est estimée à 26 millions de dollars.

Cette affaire témoigne des escroqueries naissant sur les réseaux sociaux, et la responsabilité endossée par les influenceurs envers leur communauté qui ne doit pas être prise à la légère. Des cas, moins extrêmes certes, mais tout aussi frauduleux sont récurrents sur Instagram notamment à l’ère des placements de produits.


2. Le dropshipping: une pratique légale mais susceptible d’abus

La pratique du dropshipping est une solution permettant à un webmarchand de vendre en ligne des produits qui sont en stock chez son fournisseur. Ce dernier sera alors chargé d'effectuer la livraison, généralement en lieu et place du vendeur. Si cette pratique est légale, puisque rien n'oblige un commerçant à disposer des articles stockés dans ses propres locaux
, elle pose vraisemblablement des problèmes de transparence et de bonne foi à l’égard des consommateurs.

Comme toute pratique peu régulée, il peut y avoir des abus. En effet, certains influenceurs se sont attirés les foudres de leur propre communauté lorsqu’il s’est avéré qu’ils proposaient des codes promotionnelles pour des produits qui provenaient en réalité de sites tels qu’Aliexpress, Wish ou Shein, à des prix beaucoup moins élevés. D’autres sont allés plus loin, en faisant croire que les produits étaient le fruit de leur création alors qu’ils provenaient de ces mêmes sites chinois. Par exemple, L’influenceuse Indya Marie partageait tous les jours à travers ses stories instagram les dessins et le travail qu’elle faisait en vue de lancer sa propre marque de bijoux. Sur son site, elle vendait par exemple une bague 18 carats qu’elle aurait elle-même designé pour le prix de 65.5 dollars. Or, il s’avérait que cette bague était également en vente sur Aliexpress pour la modique somme de 2 dollars.


Il existe également  le risque de la promotion de produits contrefaits, et le récent procès intenté par Amazon contre deux influenceuses en est une illustration.  Selon la plainte déposée au tribunal de Washington, Amazon affirme que les influenceuses Kelly Fitzpatrick et Sabrina Kelly-Krejci se sont «engagés dans une campagne de publicité mensongère» dans le cadre de laquelle elles ont «conspiré» avec des vendeurs sur le marché d'Amazon pour échapper aux protections anti-contrefaçon d'Amazon en promouvant la contrefaçon de produits de luxe, allant de ceintures Gucci à des sacs à main Dior, et ce, sur Instagram, Facebook, TikTok ainsi que sur leurs propres sites Web.
 
Dans une déclaration qui coïncide avec le dépôt de l'affaire, Cristina Posa, avocate générale associée et directrice de l'Unité des crimes de contrefaçon d'Amazon, a déclaré que «les accusées sapaient le travail des influenceurs légitimes ». Elle affirme en outre: «Cette affaire démontre la nécessité d'une collaboration intersectorielle afin de conduire les contrefacteurs à la faillite. Pour ce faire, « les sites de médias sociaux doivent également contrôler, surveiller et prendre des mesures contre les mauvais acteurs qui utilisent leurs services pour faciliter les comportements illégaux. »





Selon les sources de Julie ZERBO, avocate et auteure du blog The Fashion Law, au moins deux des plus grandes marques de luxe du secteur envisagent de la même manière de prendre des mesures contre les influenceurs qui font la promotion de «faux» sur les sites de médias sociaux.


B.
L’émergence de nouveaux marchés tirant profit du commerce d’influence et la question de leur légalité


1. La vente de followers et de likes

Le business du marketing d’influence sur Instagram a fait naître de nouveaux marchés dont la vente numérique d’abonnés et de likes. C’est ainsi que de nombreuses sociétés ont voulu s’y spécialiser afin d’en tirer profit. Au regard de la multitude de sites internet proposant ces services, Tifany LABATUT, docteure en droit, note qu’il semble s’agir là d’un placement fructueux, tout en s’interrogeant sur la légalité de ces ventes numériques.


Le principe est simple: il suffit de se rendre sur un site dédié à ce commerce et d’y choisir une offre. Il existe des offres individuelles comme 100 000 followers livrés en 72h pour un montant de 5000 euros ou 1000 vues sous une vidéo YouTube livrées en 24h pour le montant de 5 euros. Ces sites tels que acheter-des-fans.com proposent également des « packs » comme 1000 followers Instagram procurés sur 30 jours assortis de 100 likes ou 20 commentaires automatiques pour un montant de 40 euros. Ce type d’offre a l’avantage de simuler une hausse naturelle de la popularité et préservent ainsi la crédibilité du compte aux yeux du public. En effet, un abonné peut très vite se rendre compte qu’un compte « triche » si ce dernier passe d’une centaine de followers à des dizaines de milliers en moins de 24h. Cela fait le jeu des sites dédiés à ce nouveau commerce qui n’hésitent pas à proposer des offres sur mesures pour éviter tout soupçon.

La plupart des sites assurent fournir de vrais abonnés et de vrais likes assurant la légalité du système. Dans les conditions générales de vente du site précité, on peut lire « les fans et les followers issus de nos services sont de vraies personnes utilisant leur réseaux social et acceptant de liker/follow les pages que nous leur soumettons par l’intermédiaire de larges plateformes dédiées à cet usage et partenaires du site www.acheter-des-fans.com.(…) Les méthodes de travail de nos prestataires sont légales au sens strict de la loi mais le site ne peut être tenu pour responsable de toute conséquence sur le lien (page, vidéo, site) soumis par le client. Lui seul peut être tenu responsable de l’utilisation de nos services ».

À la lecture de ces propos, il est certain que la véracité des comptes est un point clé pour rendre légal ce type de commerce. En effet, Instagram mais aussi Facebook traquent les faux comptes en s’octroyant le droit de les supprimer. Par exemple, Instagram a supprimé en 2014 plus de 300 millions de faux comptes, faisant perdre en une journée plus d’un million de followers à des célébrités telles que Kim Kardashian ou Justin Bieber. Facebook a pour sa part supprimé 1,5 milliard de faux comptes en 6 mois au cours de l’année 2018.

Il ressort de ces faits que certains sites spécialisés dans ce commerce font usage de faux comptes pour satisfaire leur clientèle. Or, une telle pratique commerciale doit-elle qualifiée de trompeuse ou bien être perçue comme une stratégie publicitaire ? Sur un autre plan, les conditions générales d’utilisation des médias sociaux n’indiquent rien au sujet des sites internet spécialisés dans la vente numérique de véritables followers ou likes: l’achat sur ces sites de véritables abonnés est-il autorisé ou le client risque-t-il de voir son compte supprimé pour avoir enfreint les conditions générales d’utilisation?

Toujours selon les dires de Tifany LABATUT, si la chasse aux faux abonnés et aux likes, semble être dans une moindre mesure, une difficulté pouvant être contrôlée par les plateformes elle mêmes, l’achat numérique de vues YouTube et de commentaires l’est peut-être moins.


2. Les sites promettant une carrière d’influenceur

Un autre commerce fleurissant mais surtout frauduleux est celui qui promet le succès à des « wannabe influenceurs » ou des micro-influenceurs c’est-à-dire des personnes souhaitant faire partie du cercle prisé des influenceurs mais qui ne disposent pas, pour ce faire, d’une assez large communauté.

Le système est différent que celui de l’achat d’abonnés: il suffit de s’inscrire sur le site www.eliteinfluence.fr. Moins de 24h après, un mail est reçu dans lequel on peut lire: « Je suis Kieran, agent personnel chez Élite Influence, et je viens de jeter un œil à ton profil Instagram @XXX. Tu as l'air d'avoir une communauté et un profil authentiques, et tu as beaucoup de potentiel. J'ai donc le plaisir de t’annoncer que je serai ravi de m'occuper de toi, et de te représenter au sein de notre agence ! »

Dans un second paragraphe, la supercherie continue:  « les marques partenaires à qui j'ai pu présenter ton profil t'ont adorée, et tu pourras commander 4 produits, dès ce weekend, gratuitement. Tu es la bienvenue chez Élite Influence, et avec ce confinement, c'est le moment de débuter de super partenariats ! D'ailleurs en parlant de codes promotionnels à ton nom, je suis déjà entré en contact avec des boutique proposant du maquillage Chanel, Yves Saint Laurent, L'Oréal, et avec une boutique proposant des montres Versace, Gucci et Michael Kors, et elles ont accepté de travailler avec toi pour que tu sois rémunéré ! »

La mission de la « nouvelle recrue » au sein de « l’agence » est de partager des codes promotionnels en story pour gagner immédiatement la somme de 100 euros ainsi que des produits gratuits, tous les mois, de la part des prétendues marques partenaires.

Cependant, lorsque l’on clique pour rejoindre « l’Élite », il faut en réalité entrer ses coordonnées bancaires et être débité de 24€90 tous les mois, une somme qui apparaît sous la dénomination « Pack Agent Personnel », puisque selon les dires du site: « Si tu veux évoluer dans ce milieu, te faire connaitre, devenir influenceuse et en vivre, il te faut un agent, tu n'y arriveras pas sans. » À la lecture de nombreux forums concernant ce site, on peut lire  de nombreuses « alertes à arnaque »: le site débite bien tous les mois, cependant aucune nouvelle du supposé agent, aucune collaboration avec des marques et aucune rémunération pour chaque story postée… Plus embêtant encore: il est impossible de résilier soi-même le contrat puisqu’il faut passer par le service client qui reçoit un amas de demandes de résiliation restant, évidemment, lettre morte.

Malheureusement, l’argent obtenu revient en réalité à payer les contrats des véritables influenceurs qui, titulaires d’une large communauté, font la promotion de ce site afin de le rendre crédible aux yeux des abonnés dupés. Un cercle vicieux, donc.




                                                         Conclusion



Force est d’admettre que le milieu de l’influence reste encore assimilé à un territoire peu régulé et assaini. Il semble que ce phénomène ne puisse tenir sur la durée, le droit — et ses valeurs de transparence, bonne foi et justesse — étant amené tôt ou tard à sanctionner les comportements déviants et créer de nouvelles régulations.

Un premier pas en ce sens a déjà été entrepris avec la loi du 19 octobre 2020 relative aux enfants influenceurs, mais beaucoup reste à faire pour qu’Instagram et les réseaux sociaux ne deviennent pas une zone de non-droit où s’entremêlent publicité mensongère, recel de contrefaçon, et autres pratiques frauduleuses.

Aujourd’hui, les marques investissent de plus en plus sur le levier de l’influence, plus encore que dans le perfectionnement du service client. Ces nouvelles célébrités du web ou leaders d'opinion des temps modernes ont redéfinis les contours de la communication de sorte que le marketing d'influence est pleinement intégré à la stratégie digitale des entreprises. Si les blogueurs influenceurs ont vu le jour au milieu des années 90, le phénomène a explosé depuis quelques années, emmenant avec lui, comme on l’a vu, certains abus. 


Dans le reportage « Derrière nos écrans de fumée » réalisé par Jeff Orlowski, les créateurs mêmes des réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter et Instagram mettaient en garde le public sur leur propre invention en avouant qu’ils n’auraient pu deviner que  « tout ça irait aussi loin »… 




A.S.R


Crédit Photo: @ChiaraFerragni


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