La bataille judiciaire pour la semelle rouge: la saga Louboutin


 




        Le violet de Milka, le jaune de Kodak ou encore le orange de Veuve-Clicquot sont des couleurs protégeables au titre du droit des marques de par l'association qu'en fait le public à une entreprise déterminée. Cependant, la distinctivité d'une couleur s'acquiert surtout par l'usage de sorte que rapporter la preuve de l'acquisition d'une telle distinctivité aux yeux du consommateur moyen est une tâche complexe puisqu'il s'agit d'un phénomène dilué dans le temps. Cette distinctivité peut d'autant plus se perdre, comme ce fut le cas pour le rose de la marque Candia, l'emploi de cette couleur étant devenue générique, selon les juges, pour désigner les produits laitiers pour enfants (Cass, com, 10 juill. 2007). 


En effet, si la distinctivité est l'une des trois conditions de validité d'une marque aux côtés de la disponibilité et de la licéité, elle est surtout intrinsèquement liée à la fonction essentielle de la marque de garantie d'origine des produits. 

C'est pourquoi Christian Louboutin se bat pour empêcher l'emploi généralisé de la couleur rouge sur les semelles d'escarpins, afin que le consommateur attribue à lui seul cette spécificité. Il n'hésite pas dès lors à assigner ses concurrents qui s'aventureraient à lui emprunter ce qui est devenu sa marque de fabrique. Zoom sur les arrêts les plus notoires: 




                  TGI Paris, 2011, Louboutin c. Eden Shoes



Louboutin obtient gain de cause sur le fondement de l'atteinte à la marque renommée. La marque renommée se définit comme la marque connue d'une large fraction du public de sorte qu'elle fait entorse au principe de spécialité qui irrigue le droit des marques et qui veut qu'une marque soit protégée que pour la catégorie de produit ou service pour laquelle elle a été enregistrée. Sa notoriété est telle, qu'elle peut empêcher le dépôt de signes concurrents similaires au-delà de sa spécialité, en l'occurence au-delà du domaine des chaussures.



                      Cass, com, 2012, Louboutin c. ZARA



Après avoir été assignée, ZARA
 contre attaque en demandant la nullité de la marque figurative opposée par Christian Louboutin. La chambre commerciale confirme l’annulation sur le fondement du défaut de distinctivité de la marque aux motifs que ni la forme, ni la couleur de la semelle ne faisaient l’objet d’une représentation graphique. La marque figurative était alors représentée comme suit, associée à la description suivante : "Semelle de chaussure de couleur rouge". C'est donc à cause d'un dépôt trop imprécis que Louboutin perd le procès. 

On peut toutefois se demander quelle aurait été l'issue de cette affaire si elle avait été jugée en 2020, puisque l
’ordonnance du 13 novembre 2019 transposant la Directive européenne 2015/2436 (Réforme du "Paquet Marques") a apporté des modifications au droit des marques dont la plus notable est la suppression de l’exigence de représentation graphique.

Jusqu'alors, l’article L711-1 du Code de la propriété intellectuelle exigeait que le signe soit susceptible de représentation graphique. La jurisprudence interprétait cette exigence en matière de couleur en ce sens que celle-ci devait faire l’objet d’une représentation graphique qui soit claire, précise, complète, intelligible, durable et objective. Cependant, si cette dernière condition d'objectivité ne peut être satisfaite par la simple reproduction sur papier de la couleur en question, elle peut l'être par la désignation de cette couleur par un code d'identification internationalement reconnu - dit Code Pantone -, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, le dépôt de la marque figurative ne mentionnant qu'une simple "couleur rouge". 



                 CA Paris, 2018, Louboutin c. YSL



La Cour d'appel de Paris donne gain de cause à Louboutin dans son action contre Yves-Saint-Laurent puisqu'elle constate que l’emplacement de la couleur était "clairement délimité grâce aux pointillés figurant sur l’enregistrement, recouvrant seulement la partie extérieure de la semelle de la chaussure, à l'exception du talon, dont la face avant n’était d’ailleurs pas visible." En outre, la semelle répond au code Pantone n°18.1663TP lui permettant de bénéficier de la condition relative au signe que l’article L711-1 définie comme pouvant notamment être constitué d’une disposition de couleurs. Force est d'admettre que le titulaire a tiré enseignement de la précédente condamnation face à ZARA.

Rappelons que les couleurs primaires ne peuvent faire l'objet d'une protection par le droit des marques, puisque cela priverait les concurrent de les utiliser. Il faut donc nécessairement une nuance de couleur, mais comme dit précédemment, le caractère distinctif d’une nuance de couleur, seule, est difficilement retenu par les Offices d’enregistrement des marques quand la demande d’enregistrement n’a pas été précédée d’un usage si intense que la couleur a pu devenir, per se, un indicateur d’origine dans l’esprit du consommateur.

C'était sur un fondement différent que la Cour d'appel fédérale des États-Unis avait rendu sa décision en 2012: selon les juges, 
la semelle rouge était susceptible de protection à titre de marque, à condition que celle-ci contraste avec la couleur de la chaussure. Il s'agissait donc d'une victoire de principe pour Louboutin car les escarpins commercialisés par Yves-Saint-Laurent étaient monocolores de sorte que, in concreto, l'atteinte n'était pas caractérisée. 



                        CA Paris, 2018, Louboutin c. Kesslord




Dans cette affaire, Kesslord oriente sa défense en invoquant deux moyens: 

Tout d'abord, la marque de maroquinerie sollicite l’annulation de la marque figurative faute de représentation claire, objective, complète et constante comme l’exige l'article L711-1 du Code de la propriété intellectuelle. Louboutin répond être non seulement une marque jouissant d'une certaine renommée, mais aussi une marque de position clairement identifiée. La Cour d'appel confirme la décision précédente: la marque peut être constituée par une combinaison de couleurs déterminées avec un  emplacement sur la semelle extérieure délimité grâce à des pointillés. Le débat se situait donc dans l’appréciation d'une éventuelle contrefaçon et non dans la question de la validité de la marque. Les juges estiment que la marque figurative Louboutin est "fantaisiste et arbitraire dans le secteur d’activité concerné", de sorte qu'il n'y plus aucun doute quant à son  caractère distinctif et donc sa validité.

Parallèlement, Kesslord forme une demande nullité de la marque adverse sur le fondement cette fois de l'article L711-2 du Code de la propriété intellectuelle. Selon le défendeur, la marque figurative est dépourvue de caractère distinctif car la couleur rouge ne serait que l'une des caractéristiques de la forme de la semelle et donnerait au produit sa valeur substantielle. Cela n'aura pas convaincu les juges du fond qui le déboutent: il s'agit d'un choix arbitraire du créateur et rien ne permet de considérer que la semelle confère aux chaussures leur valeur substantielle, cette dernière pouvant résulter de la qualité intrinsèque des produits ou de leur succès grandissant auprès de la clientèle. Nouvelle victoire judiciaire pour Christian Louboutin...

A.S.R


Crédit Photo: Afrokanlife.com 

Commentaires

  1. Une simple couleur est t elle vraiment originale ? ne permet t' on pas du fait de la seule notoriété d'ouvrir la protection aux puissants au détriment de ceux qui démarrent leur marque ? le droit des marques seraient t'ils devenu à deux vitesses , les marques avec notoriété et les marques s en développement ?

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    1. Si par "une simple couleur" vous faites allusion à l'une des couleurs de l'arc-en-ciel, alors vous avez raison: elles ne sont pas susceptibles de dépôt au registres des marques puisqu'elles priveraient, comme vous le relevez très justement, l'utilisation par les concurrents entrant sur le marché. Pour être protégée, une couleur doit être une NUANCE de couleurs, repérable par un Code Pantone. Cependant, elle doit également être distinctive, ce qui s'acquiert le plus souvent par l'usage... Ainsi, pour une marque qui "démarre" il sera très difficile de déposer une couleur puisque celle-ci, par définition, ne pourra pas remplir sa fonction d'identité d'origine aux yeux du public! Sur ce point les marques qui bénéficient d'une certaine notoriété et surtout d'une certaine ancienneté ont un sérieux avantage...

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