"J'ai séquestré Kim Kardashian" privé du droit d'auteur?


Paris, Fashion Week 2016. Kim Kardashian est séquestrée en pleine nuit dans sa chambre d'hôtel et dérobée de ses bijoux. Le butin du braquage est estimé à 9 millions d'euros. 



Cinq ans plus tard, Yunice Abbas, 67 ans, l'un des cinq "papys braqueurs" comme les surnomme la presse, sort son livre "J'ai séquestré Kim Kardashian - Dans les coulisses du casse du siècle" qui relate, notamment, les évènements de la nuit du 2 octobre. 


Cependant, l'affaire est toujours en cours devant les tribunaux. C'est pourquoi les avocats sont parvenus, par une ordonnance du Tribunal judiciaire de Bobigny du 6 février 2020, à l'obtention de la saisie conservatoire des droits sur le livre. 


Cette mesure conservatoire (L521-1 et suiv. du Code de procédure civile d'exécution) est un préalable à une mesure d'exécution et vise à empêcher que le débiteur organise son insolvabilité. De fait, elle ne permet pas d'obtenir directement paiement: le débiteur reste gardien de ce qui fait l'objet de la saisie mais il ne peut rien en faire sous peine de sanctions pénales. Cela signifie que Yunice Abbas ne peut momentanément pas toucher les recettes engendrées par les ventes de son livres puisque les droits sont saisis jusqu'au paiement de sa créance. 


Il n'est donc pas question d'une privation de droit d'auteur stricto sensu. Yunice Abbas conserve ses droits d'exploitation et son droit moral sur son oeuvre. Toutefois, il risque de ne pas tirer des gains faramineux de la commercialisation de son livre puisque l'argent obtenu par les vente est « gelé » jusqu'à ce que la condamnation au civil soit prononcée. Autrement dit, l'argent servira à dédommager la victime constituée partie civile.


Si la victime qui nous vient à l'esprit n'est autre que la star américaine, il n'en est rien: les avocats qui ont obtenu la saisie sont les avocats du veilleur de nuit ! Celui-ci travaillait à l'hôtel pour payer ses études à la Sorbonne, et était donc présent le soir des évènements. Ses avocats soutiennent qu'il a été « neutralisé par plusieurs personnes sous la menace d’une arme » et plaideront sans doute le préjudice moral subi par leur client. 


Reste à savoir le montant auquel s'élèvera les dommages et intérêt et à combien s'élèveront les recettes de la sortie du livre. Ce n'est qu'à ce moment là que l'on pourra évaluer les fruits des ventes de l'auteur. Si les recettes sont supérieures au montant de la réparation alors c'est à tord que les avocats de la victime affirment avec conviction que Yunice Abbas «  ne touchera pas un centime ». Si Kim Kardashian s'était portée partie civile, peut-être...!



Droit d'auteur et caractère immoral d'une oeuvre


Les grands bandits ont écrit des livres (L'instinct de mort de Jacques Mesrine, Cavales de François Besse, dans lesquels ils racontent leurs multiples évasions de prison) et ce n'est pas pour autant qu'ils sont privés de leur droit d'auteur. 


La moralité d'une oeuvre n'a pas sa place parmi les critères de protection. Mein Kampf fut protégé 70 ans post-mortem à Hitler (durée légale de la protection), et les pamphlets de Céline ouvertement antisémites le sont encore pour les dix prochaines années. Les films de Roman Polanski sont protégeables par le droit d'auteur et ce malgré le boycott dont il a fait l'objet suite aux multiples accusations d'agressions sexuelles.  


En d'autres termes, ce n'est pas l'objet du droit d'auteur d'être un objet de censure. Toutefois, il existe heureusement d’autres corps de règles pour limiter ces oeuvres : le droit pénal, la Loi sur la liberté de la presse (1886), la Loi sur la protection des mineurs (2004), la Convention européenne des droits de l'homme (notamment l'article 8 qui protège le droit au respect de la vie privée et familiale), etc.


Le terme de "privation des droits d'auteur" est donc un abus de langage: la protection naît du seul fait de la création du moment que les conditions - oeuvre originale incarnée dans une forme tangible -  sont réunies, et l'auteur ne saurait, à quelque titre que ce soit, en être privé...


A.S.R


Crédit: Vogue Arabia


Commentaires

Vos articles préférés