L'amour pour Paris ne se monopolise pas! (I ♥ Paris, Les Bateaux-Mouches et le Moulin Rouge)




       Aux termes de trois arrêts de la chambre commerciale de 2015, force est d'admettre que la Cour de cassation adopte une lecture limitée de la portée des marques visant les activités culturelles et touristiques de la capitale. Le fondement de ces annulations n'est autre que de protéger le patrimoine en évitant d'éventuelles appropriations de la culture par le droit des marques. Ainsi, s'opère un arbitrage entre la protection des droits privés exclusifs et la protection du patrimoine culturel qui sert l'intérêt collectif, avec un tendencieux fléchissement du premier au bénéficie du second. Les présents arrêts en sont une illustration.



 Cass, com, 6 janv. 2015, I  Paris



        Pour qu'une marque soit valable, elle doit répondre à trois conditions: être disponible, licite et distinctive; et c'est sur ce dernier critère que s'attache le présent arrêt.  


En effet, la chambre commerciale reprend la définition donnée par la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE), une définition de la distinctivité dite intrinsèque ou autonome, qui consiste en ce que le public perçoive la marque derrière le signe. Jusqu’ici on définissait la distinctivité de manière extrinsèque ou négative: pour être distinctif, il suffisait simplement que le signe ne soit pas usuel ou descriptif.


Au demeurant, la distinctivité dans son acception européenne est intrinsèquement liée à la fonction principale de la marque de garantie d'origine: le consommateur doit pouvoir identifier une entreprise donnée, ce qui faisait défaut dans l'affaire I ♥ Paris.


En l'espèce, l’enregistrement des marques, « Paris Je t’♥ » et « I ♥ la Tour Eiffel », déposées par la société Paris Wear Diffusion se heurte à diverses oppositions d’un particulier. La société l’assigne alors en nullité de la marque internationale « I ♥ Paris » , et des marques françaises « I ♥ Paris » et « J’♥ Paris » pour divers produits, ainsi qu’en concurrence déloyale. 


En ayant recours au standard du public visé, en l'occurence des touristes « moyennement attentifs et avisés » en quête d'achats de souvenirs de la capitale, la Chambre commerciale constate que les signes I ♥ Paris sont perçus comme des simples « signes décoratifs » associés à une ville. Par conséquent, les marques ne remplissent pas leur fonction de garantie d'origine des produits, le consommateur n'associant guère ces signes à une entreprise donnée, et ce même si les produits étaient munis d'une étiquette. Il va s'en dire que les touristes désireux de conserver une trace de leur passage à Paris comprendront ces signes quelle que soit leur langue sans pour autant les rattacher à la société Paris Wear Diffusion.


Les demandeurs au pourvoi faisaient alors valoir que les signes avaient acquis un caractère distinctif par un usage « continu, intense et de longue durée », ce qui justifiait leur protection par le droit des marques, mais cela n'aura pas suffi à convaincre les juges qui déclarent la nullité de ces marques. 


En définitive, les signes I ♥ Paris et ses variantes (I ♥ Montmartre, I ♥ Tour Eiffel, etc) sont libres d'utilisation après des années de monopole. Ces signes ne peuvent plus être accaparés du fait de leur manque de distinctivité intrinsèque. Un rare exemple de procès à deux perdants. 


Il est vrai que le défaut de distinctivité est, selon l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), le premier motif de refus en matière de marques tridimensionnelles, surtout lorsqu’il s’agit d’un conditionnement ou d’une forme “nue” - ne contenant aucun élément verbal ou figuratif. Pourtant, il est bien question en l'espèce d’une marque contenant à la fois un élément verbal (I love Paris) et figuratif (le coeur). La chambre commerciale fait donc ici preuve de plus de sévérité. 


C’était également le raisonnement adopté par l'INPI, dans un communiqué du 13 janvier 2015, qui avait indiqué au public que les demandes d'enregistrement portant sur le slogan « Je suis Charlie », formule devenue célèbre après les attentats ayant frappé la France en janvier 2015, feraient l'objet d'un rejet en raison de l'absence de caractère distinctif de ce signe. Yann BASIRE souligne que l'office français ne conteste pas le caractère arbitraire du signe mais renvoie à l'exigence de distinctivité intrinsèque lorsqu'il précise dans son communiqué que ce slogan « ne peut être capté par un acteur économique du fait de sa large utilisation par la collectivité ». C'est donc la symbolique de ce slogan et le fait qu'il ait été repris dans ce sens par une grande partie du public, qui l'empêche d'être perçu comme une marque par le consommateur. 




Cass, com, 3 févr. 2015, Les Bateaux-Mouches 




      Le litige opposait ici la société Compagnie des Bateaux Mouches au compagnon de la belle-fille de son dirigeant. Pendant des années, le gendre avait exercé pour le compte de la société des activités de vente de films, photographies, cartes postales, guides touristiques, bibelots, souvenirs, tee-shirts et produits de bouche. Mais lorsqu'il dépose la marque semi-figurative « bateaux mouches Paris Pont de l’Alma », il se voit assigné par la société en nullité de ses marques pour atteinte aux droits antérieurs de cette dernière sur sa dénomination sociale, son nom commercial et son enseigne. La société revendique également ces marques suite au dépôt frauduleux. 

La demande en nullité est cependant rejetée et la Cour en conclut que la société Compagnie des bateaux mouches ne saurait valablement prétendre que sa dénomination sociale aurait acquis un caractère distinctif par l’usage. En effet, « l’expression "bateaux mouches" pour désigner une activité de transport de voyageurs sur la Seine a été couramment utilisée depuis le milieu du XIXe siècle et  "le public concerné, à savoir celui des touristes visitant Paris et désireux de contempler ses monuments au fil d’une croisière sur la Seine", ne sera pas conduit à réserver exclusivement cette expression à l’entreprise qui l’a introduite dans sa dénomination sociale et se l’est appropriée comme enseigne ».



Cass, com, 31 mars 2015, Moulin Rouge






        L’usage par une société d’une dénomination en association avec l’image stylisée du Moulin Rouge constitue-t-il un usage a titre de marque justifiant une action en contrefaçon par la société exploitant le cabaret au sein du monument parisien ? 


La Chambre commerciale répond par la négative. En effet, les juges statuent que l’usage du Moulin Rouge comme décor sur des produits est licite, de sorte que ni une action en contrefaçon ni une action en concurrence déloyale ou parasitaire n'est en l'espèce bienfondé. La Cour statue même en faveur de l'absence de trouble anormal au droit de propriété par l'usage de l'image d'un bien. 


Pour arriver à cette solution désavantageuse pour les exploitants du célèbre cabaret parisien, les juges constatent que la dénomination du Moulin Rouge sur les produits de papeterie de la société Les éditions du Tertre n'était employée qu'à des fins descriptives d'un site touristique, au même titre que d'autres monuments emblématiques de la capitale. En effet, la société Les éditions du Tertre “utilisait la dénomination Moulin rouge, non pas de façon isolée pour désigner les produits litigieux qu'elle commercialise, mais en association avec l'image stylisée du moulin (...)  dans le but d'identifier ce cabaret qui fait partie du patrimoine touristique de Paris, et ce, de façon indissociable du bâtiment éponyme”. De plus, le public visé n'est autre que des écoliers qui ne pouvaient vraisemblablement pas penser que les trousses et tapis de souris pouvaient être des produits dérivés de l'activité de cabaret. Enfin, seul est sanctionné l’usage à titre de marque

La Cour de cassation n'invalide pas la marque verbale “Moulin Rouge” mais considère toutefois que le droit qu’elle confère ne peut empêcher sa reproduction sur des produits similaires ou identiques à ceux pour lesquels elle est enregistrée. Dès lors le droit exclusif du titulaire de la marque paraît considérablement affaibli.


La conséquence première de cette décision est la suivante: il n'est pas possible d'invoquer efficacement un droit de marque pour la commercialisation de produits dérivés attachés à des lieux touristiques ou culturels, ce qui n'est pas sans soulever certaines critiques comme celle du Professeur N. BINCTIN qui regrette la réduction du champ de la propriété, l'affaiblissement des opérateurs économiques et le recul de l'innovation économique ou commerciale. Par ailleurs, la Cour de cassation fait abstraction des fonctions secondaires de la marques qui étaient pourtant invoquées dans les moyens au pourvoi. Celles-ci consistent en la garantie de qualité des produits ou services, de communication, d'investissement et de publicité (CJCE, 2009, L'Oréal c. Bellure) et auraient pu être pertinentes pour donner gain de cause aux exploitants du cabaret. 

Force est d'admettre que le droit des marques est assez inadapté pour protéger les monuments touristiques. En effet, il est source d’insécurité juridique pour les institutions qui souhaiteraient déposer à titre de marque le nom des sites touristiques qu’elles exploitent. Il aurait peut être été plus simple d’invalider la marque “Moulin Rouge” dès l’origine si son utilisation n’est pas distinctive, comme ce fut le cas pour la marque “I love Paris”. Il ne semble pas cohérent d’admettre la protection d’un signe à titre de marque, mais de décider ultérieurement que son utilisation par un tiers ne remplit pas les fonctions de la marque. Comme le relève le professeur BINCTIN, soit la marque est descriptive, et donc frappée de nullité, et il faut l’écarter, soit elle est valable, et il faut alors appliquer l'intégralité des prérogatives du titulaire, pour lui permettre de protéger la marque qu’il a déposée en bonne et due forme.



A.S.R




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Commentaires

  1. la Tour Eiffel par son seul nom n est t elle pas une marque qu 'on qualifierait de marque dérivée ?

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